S'il avait déjà traité de l'amitié dans Ma vie en l'air et Nos futurs, Rémi Bezançon a décidé cette fois avec Un coup de maître de pousser ce sujet à l'extrême : "Je trouvais amusant d’aborder cette histoire d’amitié quasiment comme une comédie romantique. Oui, ce qui relie ces deux êtres relève de l’amour : ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre, même s’ils ont du mal à se supporter, comme on peut le voir lors de la séquence inaugurale du film." Il décrit son film comme l'histoire d'un double sauvetage : "C’est l’histoire d’un homme qui, en sauvant son meilleur ami, va se sauver lui-même."
Un coup de maître s'inspire librement du film argentin du même titre (Mi Obra Maestra en VO) de Gastón Duprat, sorti en France en 2019. Pour Rémi Bezançon, reproduire à l'identique l'original n'avait aucun intérêt : "ce qui nous intéresse, Vanessa [Portal, co-scénariste] et moi, c’est de réinterpréter une histoire avec notre style et notre humour, comme une variation sur un même thème." Ils ont ainsi conservé les éléments principaux du récit, soit l’histoire d’amitié et la satire du milieu de l’art contemporain, en le transposant en France et en adaptant les codes culturels et les références artistiques. "Nous avons également rajeuni les personnages, restructuré le récit et repensé les enjeux. Mais c’est en fin de compte surtout le point de départ du film de Gastón Duprat qui était irrésistible : il me permettait de mêler mes deux grandes passions, la peinture et le cinéma."
Rémi Bezançon est un ancien étudiant de l’École du Louvre. Cette formation lui a "aiguisé le regard, m’a appris à mieux appréhender les cadres et les perspectives". Il continue à s'intéresser à l'art, en fréquentant des musées et des expositions. Quant à l'art contemporain en particulier, il apprécie la transgression qui s'y trouve : "L’interrogation des concepts de création est devenue exponentielle. Lorsque l’on contemple, par exemple, un tableau de Peter Doig, grand génie du figuratif aujourd’hui, ce n’est pas juste un paysage que l’on découvre, c’est une dimension parallèle qui s’ouvre, celle d’un réalisme magique qui échappe à toute lecture univoque grâce à une multitude de références, souvent cinématographiques d’ailleurs. C’est tellement inspirant..."
Le réalisateur tenait à ne pas se moquer du monde de l'art : "Il est beaucoup trop facile d’être dédaigneux face à l’art conceptuel. J’aime aller à la Biennale d’Art contemporain de Venise, et même si je passe quelquefois à côté de certaines œuvres, il y a toujours des choses tellement passionnantes. Personnellement, je me fie à mon instinct et à mon émotion."
Rémi Bezançon remercie au générique Jean-Pierre Bacri, dont il est un grand admirateur et qu'il qualifie de "maître absolu en matière d’écriture scénaristique". Il se trouve que le comédien et scénariste, décédé en 2021, avait lu le scénario d'Un coup de maître et l'avait beaucoup apprécié. Lui et le réalisateur s'étaient vus pour une séance de travail, "dont je me souviendrai toute ma vie. C’était quelques mois avant sa mort. Mais j’ai conservé quelques-uns de ses dialogues".
Le réalisateur s'est glissé dans la peau du peintre Pierre Bonnard, suite à une suggestion de la productrice Isabelle Grellat qui trouvait une légère ressemblance entre les deux hommes. Il s'avère que ce peintre français du XXème siècle avait l'habitude de retoucher ses tableaux, même après les avoir achevés ou vendus. Une pratique qui a même donné naissance au mot "bonnarder" ou "bonnardiser" et qui soulève la question de l'achèvement d'une oeuvre. "La question de savoir à quel moment une œuvre est achevée m’intéresse beaucoup. Un scénario, par exemple, ne le sera jamais. Au fil de la fabrication d’un film, il sera constamment amené à être modifié. [...] En revanche, au montage, on sait qu’on va devoir mener le film jusqu’à son terme. Et il arrive un moment redouté par tous les réalisateurs, où l’on prend conscience qu’on ne pourra plus faire de retouches", explique Rémi Bezançon.
Les chefs décorateurs Clarisse d’Hoffschmidt et Milosz Martyniak ont fait appel à trois anciens amis de l’École des Beaux-Arts de Varsovie pour créer les tableaux de Renzo. Ils les ont conçus en suivant les idées soumises par Rémi Bezançon : "Au départ, je souhaitais un univers proche de Lucian Freud ou Francis Bacon, hélas nous n’avions ni les moyens financiers (la peinture à l’huile coûte très cher) ni le temps pour aller assez loin dans cette technique particulière. Alors j’ai eu l’idée de leur demander de n’utiliser que le mode colorimétrique RVB (Rouge-Vert-Bleu). Il s’agit d’un procédé utilisé par défaut pour l’affichage des couleurs sur un écran (ordinateur, appareil photo numérique, télévision...)." Le film est d'ailleurs presque uniquement composé de ces trois couleurs : le vert, le rouge et le bleu. Le jaune est banni du long-métrage et n'apparaît qu’à un endroit : le poison acheté par Renzo.
Un coup de maître est dédicacé à l'ingénieur du son Marc Engels, collaborateur de longue date de Rémi Bezançon décédé en 2020. Le réalisateur lui rend hommage : "Marc était mon grand ami, je lui disais qu’il était mon oreille gauche (qui ne fonctionne pas depuis ma naissance). Nous avons tourné trois films ensemble, et nous avions commencé la préparation de celui-ci. Son décès au tout début du Covid m’a beaucoup affecté."
Après Louise Bourgoin et Pio Marmaï dans Un heureux événement, Zabou Breitman et Jacques Gamblin dans Le premier jour du reste de ta vie, ou Fabrice Luchini et Camille Cottin dans Le Mystère Henri Pick, Rémi Bezançon a à nouveau cherché à réunir des acteurs qui ne travaillent pas de la même manière. Ainsi, il explique que Vincent Macaigne aime tout comprendre d’un personnage, tandis que Bouli Lanners est plus instinctif. De plus, ce dernier a fait l’école des Beaux-Arts de Liège et peint depuis des années, ce qui ajoutait une vraie authenticité dans ses gestes de peintre.