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    Portrait d'une jeune actrice : Ariane Labed, héroine de Fidelio, l'odyssée d'Alice
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Rencontre avec Ariane Labed, tête d'affiche de Fidelio, l'odyssée d'Alice, premier long métrage de Lucie Borleteau, sur les écrans ce mercredi. La comédienne se dévoile à travers notre questionnaire-portrait...

    Pyramide Distribution - SGP / BESTIMAGE

    30 ans et déjà un joli parcours, très européen, qui l'a emmenée en Grèce, pour Yorgos Lanthimos (Alps) et Richard Linklater (Before Midnight), ou en Irlande, toujours pour Yorgos Lanthimos, pour The Lobster, dont la sortie est prévue courant 2015. En France, elle a notamment donné la réplique à Benoit Poelvoorde pour Une place sur la Terre de Fabienne Godet, et ce mercredi, elle monte à bord de Fidelio, premier long de Lucie Borleteau, racontant l'odyssée amoureuse et maritime d'une femme mécanicienne sur un cargo. Un rôle qui lui a valu un prix au prestigieux festival de Locarno cet été, et d'être pré-nominée pour le César du meilleur espoir féminin 2015. Interview-portrait avec Ariane Labed.

    AlloCiné : Quel est votre premier souvenir marquant de spectatrice ?

    Ariane Labed : C’est la première fois que je suis allée au cinéma avec ma mère pour voir L'Ours. J’avais 5 ans. Je suis sortie en pleurant, je n’arrivais pas à comprendre que c’était une fiction. La première scène, quand la maman meurt, j’y croyais tellement que je suis sortie en pleurant. C’était horrible ! 

    Et votre dernier choc cinématographique ?

    Under the skin, j’ai adoré, vraiment. C’est un des derniers films qui m’aient bouleversé.  Quant aux derniers films français que j’ai beaucoup aimé, il y a L’Inconnu du lac, que je trouve très très beau, et La Bataille de Solférino

    Ça fait quoi de se voir à l’écran la première fois ?

    C’était pour mon premier film, Attenberg. Je me suis vue à Venise, dans la grande salle, à la Mostra. Il y avait Tarantino… J’ai détesté ça, j’avais un trac monstre, je ne supportais pas !

    Maintenant, ça va mieux parce que j’arrive à me regarder avec un œil qui tique, à arrêter de me juger… J’essaye de dépasser ça  et à trouver ça utile. La première fois, c’était violent, c’était dans des conditions un peu trop solennelles je crois. 

    Vous avez un parcours assez atypique : vous ne vous destiniez pas au cinéma, et étiez plutôt tentée par le théâtre…

    J’ai toujours une compagnie de théâtre corporel que j’ai créée pendant mes études (la compagnie Vasistas, Ndlr.) ; j’y travaille encore en ce moment, mais un peu moins car je tourne beaucoup. C’était ma petite famille, ce collectif créé ensemble.

    Je ne m’intéressais pas du tout au cinéma. C’est par la rencontre d’Athina Tsangari avec laquelle j’ai fait mon premier film que je me suis dit que ça pouvait être intéressant, mais c’était vraiment spécifique à ce projet. Je pensais que le cinéma n’avait rien à voir avec ce que je faisais, avec ma recherche, ce qui m’intéressait dans ce métier-là. Et en fait, j’ai adoré ce tournage. Ca a fait boule de neige.

    Je ne vois pas le cinéma comme un job ou un métier. C’est vraiment de l’ordre de l’engagement

    Mais je n’ai jamais eu ce rêve du grand écran, ce rêve d’être à l’affiche. J’ai toujours espéré de pouvoir collaborer, créer des œuvres avec des gens. C’est ce que j’aime et c’est ce qui est beau dans le théâtre, dans le cinéma ou dans la danse, l’œuvre collective. J’envisage le cinéma comme ça. Je ne vois pas ça comme un job ou un métier. C’est vraiment de l’ordre de l’engagement.

    Je ne pensais pas que le cinéma avait quelque chose à m’offrir et réciproquement. Et en fait non, j’adore ça ! C’est un peu un hasard de la vie, par une rencontre. 

    Et à présent, vous souhaitez vous consacrer au cinéma à 100% ?

    Je fais ça à 100% en ce moment, oui. Je travaille encore un petit peu avec ma compagnie, mais je peux moins m’engager, car le travail de compagnie demande un plein temps, en s’engageant sur des tournées, etc. Je passe d’un tournage à l’autre en ce moment, ce que je trouve très grisant. Je suis épuisée, mais j’adore.

    Rapid Eye Movies

    Votre parcours est atypique également de par vos origines… Vous êtes Française, mais avez vécu en Grèce… Disons que vous êtes une actrice européenne !

    Mes deux parents sont Français, mais adorent la Grèce. Je suis née là-bas. On y a vécu six ans, puis six ans en Allemagne, et je suis arrivée en France à 12 ans. Dès que j’ai pu, je suis repartie en Grèce ! J’ai fini mes études avec ma compagnie et il se trouve que la metteur en scène de cette compagnie était grecque, par hasard, par chance ! Je suis partie en Grèce : je devais y passer neuf mois, je suis restée trois ans ! Et maintenant je vis à Londres depuis trois ans. Donc oui je suis européenne je crois !

    Pourquoi Londres ?

    J’avais envie de me rapprocher de Paris sans forcément m’y installer, et mon mari (le cinéaste Yorgos Lanthimos, Ndlr.) commençait déjà à développer des films là-bas et avait ses producteurs là-bas. Après avoir vécu à Athènes, nous hésitions entre Londres et Paris, mais lui ne parlant pas un mot de français, c’était vite réglé ! Londres est une ville que j’adore. Ça me va bien d’être comme ça. Je me sens plus chez moi à l’étranger que quand je suis en France. C’est assez bizarre, mais c’est sans doute parce que j’ai grandi comme ça.

    Pyramide Distribution

    Avez-vous des amis comédiens de votre génération ?

    Avec Melvil Poupaud, je me suis bien entendue. De même avec Thomas Blanchard, que j’ai connu sur un tournage d’un film belge (Préjudice d'Antoine Cuypers, Ndlr.). Là je viens de tourner avec Roxane Mesquida sur le film de Philippe Grandrieux (Malgré la nuit), ça s’est très bien passé. J’ai tourné avec Léa Seydoux (The Lobster de Yorgos Lanthimos), on est très copines. On ne se voit pas tous les jours, car je vis à Londres, et on a tous des rythmes de vie un peu fous comme ça…

    Y a-t-il des comédiens d’autres générations qui vous inspirent ou vous ont inspiré ?

    J’ai toujours admiré Isabelle Huppert. Je la trouve sublime dans beaucoup de films. Ma mère était fascinée par cette femme et je crois que j’ai un peu grandi dans cette fascination, je l’aime beaucoup. Là je viens de tourner avec Nathalie Baye. Elle a un esprit très beau, très vif. Ce sont des femmes qu’on admire directement forcément. Mais je n’ai pas tellement ce truc du modèle, de la star. Je n’ai jamais eu besoin de ça. Je suis plus en admiration devant Pina Bausch que devant des acteurs pour être honnête !

    Je suis plus en admiration devant Pina Bausch que devant des acteurs pour être honnête !

    Une musique peut-elle vous inspirer dans votre travail ?

    Oui, énormément. J’écoute beaucoup de musique entre les prises pour m’isoler. Sur des premiers films comme Fidelio, finalement, il y a peu d’espace pour se concentrer, s’isoler. Il y a comme un grouillement permanent. La musique est pour moi un très bon moyen de m’isoler et de me concentrer. Selon ce que demande une scène, j’adapte ma musique, je fonctionne énormément avec ça. Sur Fidelio, j’écoutais beaucoup de musique grecque. C’est comme un langage secret que personne ne comprend. Ça m’isole très bien. Sinon, je peux écouter Radiohead, de la musique classique comme Bach…

    Est-ce que passer derrière la caméra est une tentation pour vous ?

    J’ai la trouille de le dire car ça fait tellement longtemps que j’écris et que je n’ai plus avancé car j’ai beaucoup tourné…

    Beaucoup nous disent oui. Il y a le désir, et…

    Oui, il y a le désir. En ce moment, il y a le désir de tourner en tant qu’actrice qui me grise énormément. Ça me plait absolument et je m’y engage totalement, donc je laisse de côté cette idée d’écriture que j’ai. Mais cela dit, je soupçonne, je sens très fortement que j’ai aussi besoin d’autre chose. Je sais qu’il y a un moment où il va falloir que je développe autre chose ou en collaboration avec quelqu’un, de la coécriture. Je sais que j’ai envie de prendre une autre place que celle devant la caméra, mais pour l’instant, ce n’est pas plus concret que ça.

    Travailler sur une forme d’écriture cinématographique, chercher des langages qui ne sont pas préétablis...

    Ce désir vient d’une envie de raconter des histoires ou parce que vous avez vu les coulisses et que cela vous a donné des idées ? Peut-être un peu les deux ?

    C’est un peu les deux. Quand j’ai commencé mes études de théâtre, j’étais intéressée davantage par la mise en scène. C’est pour cette raison qu’on a créé ce collectif. Après je me suis très vite retrouvée sur scène quand même. Raconter une histoire, oui ; mais aussi créer des objets. Donc je ne suis pas certaine de passer par le cinéma classique, peut être que ce sera des trucs plus expérimentaux, plus près de la performance…

    J’ai plus envie de travailler sur une forme d’écriture cinématographique ou visuelle que juste raconter des histoires. Ca semble peut être abstrait. Comme on a pu le faire avec ma compagnie de théâtre, c’est chercher des langages qui ne sont pas préétablis… Je crois que le cinéma en a besoin. C’est un art encore très très sage, on ne devrait pas alors qu’il est si jeune. J’aimerais bien travailler dans cette direction, même si ça semble très vague encore une fois. J’aimerais bien qu’on puisse se reposer des questions sur les structures narratives du cinéma. Ce sont des questionnements que j’ai.

    Pyramide Distribution

    Justement lorsque vous choisissez vos films en tant qu’actrice, ce sont des questionnements que vous avez à la lecture du scénario ?

    J’adore les gens qui cherchent. Je viens de travailler avec Philippe Grandrieux qui est vraiment à la frontière entre plusieurs arts, je trouve ça fascinant. La première réalisatrice avec qui j’ai travaillé, c’est pareil. Ce sont des gens avec qui je m’entends souvent vite très bien. Je sens les projets beaucoup plus excitants. Un film comme Fidelio, qui est d’une forme beaucoup plus classique, c’est aussi très grisant car c’est le personnage qui décale une histoire, mais la forme elle-même est plutôt classique.

    Pour une actrice, c’est super : ces personnages sont des cadeaux. Ca nous emmène dans des endroits improbables. Ce sont des cadeaux de vie aussi. Se retrouver deux mois sur un bateau les mains dans le cambouis, c’est génial comme expérience. J’ai la chance de pouvoir gouter à la vie de quelqu’un d’autre pendant deux mois.

    Je peux tomber amoureuse de ça, comme je peux tomber amoureuse de quelqu’un qui me dit : « viens, on va faire une histoire, je ne sais pas à quoi ça va ressembler. On écrira en le faisant… ». J’aime les gens qui sont habités par une proposition nouvelle. Généralement, j’essaye de faire des films comme ça.

    Hassen Brahiti / Le Bureau

    Et êtes-vous également sensible à la provenance géographique du scénario ? Vous avez d'ailleurs tourné assez peu en France pour le moment.

    Je n'y pense jamais en fait. Que ça vienne de Belgique, Roumanie ou des Etats-Unis, d’Italie, je le lis de la même manière. Après, j’adore tourner dans des langues étrangères. C’est un exercice d’acteur génial de ne pas travailler dans sa langue. Mais j’ai beaucoup de désir pour le cinéma français, surtout qu’il y a une nouvelle génération, avec des choses plutôt belles qui se passent enfin, je dirais. Il y a eu une période un peu tristoune, il me semble. Mais je ne choisis pas les projets selon d’où ils viennent. J’ai un agent en Angleterre et un en France, je suis ouverte aux gens et aux projets. Après, d’où ça vient, ça m’est assez égal en fait. 

    Y a-t-il des réalisateurs français avec qui vous aimeriez tourner ?

    J’aimerais bien bosser avec Audiard par exemple. J’aimerais bien bosser avec Dumont, mais je sais qu’il travaille avec des non-acteurs et il a bien raison. C’est un réalisateur que j’admire énormément. J’adore Claire Denis. Avec Bonello aussi, j’aimerais beaucoup. Ce sont des cinéastes qui ont une personnalité, une identité très forte. 

    Quels sont vos projets ? Vous avez évoqué un peu plus tôt un tournage avec Nathalie Baye…

    C’est un premier film belge que l’on a tourné cet été au Luxembourg. Le réalisateur s’appelle Antoine Cuypers, il a 30 ans. C’est un très beau scénario, un huis clos familial. Le couple est interprété par Nathalie Baye et Arno, le chanteur. Pour l’instant, ça s’appelle Préjudice. Je fais beaucoup de premiers films car il y a justement cette proposition, cette envie d’essayer, cette espèce de regard nouveau sur le cinéma. Ce sont des endroits où je me sens à ma place car ce sont des gens qui ont envie de prendre des risques, beaucoup plus dans le dialogue.

    Je fais beaucoup de premiers films car il y a cette proposition, cette envie d’essayer, cette espèce de regard nouveau sur le cinéma

    Vous avez également pour projet de tourner sous la direction des sœurs Coulin…

    C’est l’adaptation de Voir du pays. Et après ça, je tourne un film en italien, une coproduction franco-italienne. C’est le second film d’Alessandro Comodin, qui avait fait L’Ete de Giacomo, que j’avais adoré. Happy Time will come soon, ça sera une forme un peu docu-fiction.

    Vous parlez italien ?

    Non, je ne parle pas un mot ! Je tourne l’été prochain, je ne parle pas un mot encore. Mais j’ai fait pareil pour le grec. Mon premier film, je ne parlais pas la langue à l’époque. C’est possible, c’est du boulot ! 

    Avez-vous tourné d’autres films depuis Fidelio ?

    Oui, The Lobster de Yorgos Lanthimos. On a terminé le tournage en mai dernier en Irlande. L’histoire se passe dans un futur proche où l’on n’a pas le droit d’être célibataire. Quand on est célibataire, on est placé dans un hotel dans lequel on a 45 jours pour trouver un partenaire sinon on se transforme en animal. Et dans ce monde-là, il y a des rebelles qui vivent dans la forêt... Le protagoniste est Colin Farrell, et il y a Léa Seydoux, Ben Whishaw, Rachel Weisz, John C. Reilly, Olivia Coleman et bien d’autres, c’est un très beau cast. Et je viens de terminer le tournage du film de Philippe Grandrieux (Malgré la nuit) avec Roxane Mesquida et Paul Hamy.

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet, à Paris, le 19 novembre 2014

    La bande-annonce de Fidelio, l'odyssée d'Alice :

     

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