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    John McTiernan en prison - Cinq questions au collectif de soutien du réalisateur

    Actuellement emprisonné, John McTiernan n’est pas seul. Chez nous, le collectif "Free John McTiernan" se bat pour qu’on n’oublie pas le réalisateur, alors qu’on célèbre cette année les 25 ans de "Piège de cristal". Où en est le grand McT, à l’heure où nous parlons ? Réponses ci-dessous…

    [Réponses de Sandra Benedetti, journaliste à L'Express et Studio Ciné Live, membre du collectif Free John McTiernan]

    AlloCiné : Pourquoi John McTiernan est-il actuellement en prison, alors que d’autres stars dont les noms ont été évoqués dans l’affaire Pellicano n’ont pas été inquiétées ?

    Sandra Benedetti : Rappelons brièvement les faits, pour ceux qui n'auraient pas tout suivi. McTiernan avait embauché Anthony Pellicano, le détective privé des stars, lors de son divorce tumultueux avec Donna Dubrow, en 1998. Deux ans plus tard, il l'engage à nouveau pour qu'il enquête sur Charles Roven, qu'il soupçonne de vouloir saboter son film, Rollerball, alors en tournage. En 2002, Pellicano est arrêté par le FBI en raison de ses méthodes douteuses. Tom Cruise, Chris Rock, Kevin Costner Michael Jackson faisaient partie de ses clients. Alors pourquoi John est-il en prison et pas les autres, alors que certains avaient utilisé les services du privé pour régler des histoires autrement crapuleuses ? Parce qu'un agent du FBI l'a appelé chez lui, un soir de février 2006, contrairement au règlement du bureau fédéral qui veut que deux agents se présentent en personne, munis de leur badge et de leur pièce d'identité. Confronté à de nombreux coups de fil de journalistes se faisant passer pour ceci ou cela, John avait appris à répondre poliment à toutes sortes de questions pour avoir la paix. Il a donc vaguement répondu à l'agent, convaincu de parler à un plaisantin, et l'agent s'est servi de cette conversation pour faire tomber McT. Un « Non » à la question « Avez-vous connaissance des activités illégales de Pellicano ? » et un « Oui » à la question « Est-ce la seule fois [lors du divorce avec Donna Dubrow] que vous avez fait appel aux services de Pellicano ? » ont suffi pour le ferrer : mentir au FBI est passible de cinq ans de prison. Les autres personnalités impliquées dans l'affaire, quant à elles, ont toutes été contactées via leur manager ou leur avocat par des agents du FBI en suivant les procédures. McT est le seul à avoir été mis sur le gril à brûle pourpoint sans savoir réellement à qui il avait affaire. Et il est le seul à avoir joué le plaider coupable devant la justice, sur les conseils mal avisés de ses avocats, persuadés de pouvoir ainsi négocier un adoucissement de la peine. Mais tous les autres grands noms hollywoodiens ont nié les faits et ont été blanchis. Il fallait que la justice trouve un bouc émissaire célèbre pour ne pas perdre la face. Elle l'a trouvé. John est tout simplement victime d'un harcèlement judiciaire.

    "Il partage une cellule lambda de 40m2 avec 20 détenus..."

    McT peut-il être libéré avant la fin de sa peine ? Risque-t-il d’autres condamnations ? Comment va-t-il ?

    Il peut être libéré si la juge Dale Fischer, qui fait preuve d'un acharnement hors du commun à son égard, cède la place à un juge objectif ainsi que le réclament les avocats de McT. Si la Cour reconnaît l'absence de parjure, compte tenu que John n'a pas prêté serment lors de ce fameux parjure et que donc l'accusation ne tient pas. Et si la Cour admet que le témoin à charge principal s'est rétracté. Ce qui fait beaucoup de "si". En cas de libération anticipée, les procureurs menacent John de 30 ans de prison, sur la base de six chefs d'accusation : deux pour fausse déclaration et quatre pour parjure. Mais McT ne baisse pas les bras, les projets sur lesquels il planche actuellement lui permettent de mieux supporter les moments difficiles. Rappelons qu'il partage une cellule lambda de 40m2 avec 20 détenus, qu'il n'a droit à aucun privilège type colis de nourriture, bref qu'il n'est absolument pas dans un carré VIP avec foie gras et écran plat comme certains l'imaginent.

    Basic, dernier film en date de McT

    Quelles sont concrètement les actions du collectif de soutien ? Qui en est membre, quelles personnalités lui ont apporté leur caution ? Comment y participer ?

    Nos actions consistent à mobiliser un maximum de fans et à obtenir le soutien de personnalités de différents horizons, de façon à remuer l'opinion publique aux Etats-Unis. Cela peut sembler utopique, de même que recevoir un message personnel d'Alec Baldwin le semblait aussi et pourtant nous l'avons eu. Les médias américains respectent une sorte d'omerta qui arrange autant la justice que le milieu hollywoodien, trop content d'avoir trouvé une tête de Turc pour se dédouaner d'une sale affaire. Nombre de personnalités américaines sont tombées des nues quand nous leur avons dit que McTiernan était emprisonné. Ces dernières années, le silence a été l'allié majeur de la juge Fisher, notre but est de briser ce silence. Nous avons été largement relayés par la presse française et étrangère, mais jusqu'à présent un seul journaliste d'investigation américain, Michael Hastings, a eu le courage de s'atteler à l'affaire. Il est malheureusement décédé récemment dans un accident de voiture... Dans la mesure du possible, nous nous rendons aussi aux événements français dédiés à McT, telles que les soirées du Max Linder et de l'Institut Lumière, pour discuter de l'affaire avec le public. Et nous transmettons les dernières informations relatives à la situation de McT, ainsi que ses messages et ceux de son épouse Gail. Nous sommes 11 à œuvrer sur la page, dont 10 hommes formidables. Deux sont journalistes, Rafik Djoumi (Arrêt sur images) et Arnaud Bordas (Le Figaro), les huit autres sont des cinéphiles allant des experts de jeux vidéo aux génies du montage : Stéphane Artus, Loïc Gitton, Matthieu Galley, Jonathan Zaurin, David Bergeyron, Thomas Cappeau, Nicolas Chapoton et Jérôme Bardon. En actionnant nos réseaux (et nos neurones), nous avons reçu le soutien de Sam Neill, Jeremy Irons, Alec Baldwin, Brad Bird, Joe Carnahan, Vladimir Kulich, Robert Davi, Jan Kounen, Florent Emilio Siri et quantité d'autres artistes. Pour participer à notre mouvement, il suffit de liker notre page et de la partager [voir ici]. Largement.

    "Il tentait seulement de protéger l'intégrité artistique de Rollerball..."

    McT n’a jamais cessé d’avoir des projets depuis dix ans, malgré ses démêlés judiciaires et ses difficultés avec les studios. Quel pourrait être celui qu’il évoquait dans son récent message, et le "quelqu’un" avec lequel il travaille ? Quelles sont ses chances de trouver des financements/des assureurs pour revenir sur les plateaux de tournage à sa sortie de prison ? A-t-il encore des soutiens auprès des studios (hors confrères) ?

    Je comprends votre curiosité, mais nous ne pouvons rien divulguer sur les projets de McTiernan sans son assentiment, et il ne le désire pas pour l'instant. Si les assureurs refusaient de s'engager sur les films de John, c'est parce qu'il risquait d'être incarcéré en plein tournage. Dès lors qu'il sera libéré, les assureurs feront leur métier. Des producteurs européens ont déjà montré leur désir de financer les prochains films de McT. A savoir si les Américains leur emboîteront le pas, je veux croire que oui. En dix ans, laps de temps pendant lequel McT n'a plus tourné, l'industrie du cinéma a certes évolué aux Etats-Unis, mais il reste certainement des structures indépendantes prêtes à miser sur le talent d'un metteur en scène comme McTiernan. Il ne sera pas le premier à retrouver le chemin des studios après une peine de prison. Regardez Robert Downey Jr., Tom Sizemore, Roger Avary...

    Si vous deviez expliquer à quelqu’un qui l’ignore quelle est l’importance de McT, et pourquoi vous le défendez mordicus, que lui diriez-vous ?

    Difficile de résumer un tel réalisateur en quelques mots. John McTiernan est avant tout un artiste, qui a fait ses gammes en disséquant obstinément le cinéma européen des années 1960, dont il adaptera les techniques à sa façon. Avec Predator, Piège de cristal, A la poursuite d'Octobre rouge, on peut dire qu'il a renouvelé le cinéma de genre américain des années 80-90. A l'époque, il était l'un des rois d'Hollywood, ses films généraient des recettes de centaines de millions de dollars et il avait transformé Bruce Willis en star. Depuis, il a influencé bon nombre de réalisateurs de films et de séries. L'extrême sophistication de ses cadrages, le réalisme de ses personnages, les scènes d'action prises sur le vif et la fluidité musicale du montage sont des marques de fabrique qui rendent ses œuvres uniques. Il y a un avant et un après John McTiernan pour les cinéphiles. Nous avons décidé d'apporter notre appui à John McTiernan non seulement parce que nous admirons son travail, mais aussi et surtout parce que nous estimons qu'il a déjà payé un lourd tribut à la justice. Il n'a plus tourné depuis sept ans, il est ruiné par les procédures judiciaires, sa santé est défaillante et son ranch est en vente. Il n'a plus rien. Que la juge Fischer assortisse cet enfer d'un an de prison ferme et de trois ans de liberté surveillée nous paraît démesuré au regard du "crime" de John. En faisant appel à un détective privé, il tentait seulement de protéger l'intégrité artistique de Rollerball. En quoi il avait raison, son film ayant été bel et bien saboté. S'il avait commis un acte irréparable, nous ne le soutiendrions pas. Mais il n'a ni tué ni volé ni fait chanter ni violé qui que ce soit. Nul n'est au-dessus des lois, mais la justice se doit d'être équitable. Avec tous.

    La page Facebook du collectif "Free John McTiernan"

    Notre interview du réalisateur

    Le podcast de l'émission "Pendant les travaux le cinéma reste ouvert" (France Inter) consacrée à John McTiernan (voir également le reportage de Vincent Malausa dans le n° 690 des Cahiers du Cinéma, juin 2013)

    Piège de cristal

    Propos recueillis (via mail) par Alexis Geng

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