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    Arthur Harari sur Diamant Noir : "j’adore les acteurs qui ont des sensibilités d’auteur"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    A l'occasion de leur passage au festival de Beaune 2016, le réalisateur Arthur Harari et l'acteur Niels Schneider ont accepté de nous parler de Diamant Noir.

    Ad Vitam

    A l'occasion du festival international du film policier de Beaune 2016, où Diamant noir était présenté en compétion officielle, le comédien Niels Schneider et le réalisateur Arthur Harari ont pris un peu de temps pour rencontrer AlloCiné.

    Arthur, pourquoi avoir choisi Niels et Niels, qu’est-ce qui vous a plu dans le film d’Arthur ?

    Arthur Harari (AH) : En réalité, je ne l’imaginais pas dans le rôle. Je l’avais vu dans certains de ses films, qui étaient très éloignés de cette noirceur et de mon personnage, pas toujours aimable et ne faisant pas toujours des choses aimables. A partir du moment où on a vu Niels avec ma directrice de casting Cynthia Arra qui a aussi dirigé avec moi les acteurs sur le plateau, le choisir est devenu évident. Il nous a plu (…), on a tout de suite perçu ce qu’il avait de fort. Le personnage va assez loin dans des choses transgressives et sombres, et Niels quand on le filme a quelque chose d’héroïque. Il a un pouvoir de captation assez évident.(…)

    Niels Schneider (NS) : Moi j’ai été séduit dès la première rencontre. Arthur a une personnalité très forte dans son désir de cinéma, il a une radicalité… Il ne voulait faire aucun compromis, il avait le goût du romanesque.(…) Je trouve qu’il amène quelque chose dans le cinéma français qui n’est pas dans l’air du temps, pas dans la séduction, anti-racoleur, dont le cinéma français a grand besoin. Il est à la fois simple et pas du tout prétentieux, et en même temps il a une ambition d’ampleur qu’on retrouve assez peu.

    Son envie de travailler aussi m’a plu. Avec Cynthia Arra, on a travaillé presque à la façon du théâtre, en construisant le personnage. C’était très agréable, car ça donnait une précision.

    D’autant que votre personnage passe par énormément de phases, c’est ce qui devait être intéressant pour vous, j’imagine…

    NS : Exactement. On ne tournait pas chronologiquement, donc ça aidait de savoir dans quel état [était le personnage]. Et j’aimais beaucoup la direction d’Arthur. Pour diriger, il utilisait des mots très imagés (…). Tu te découvres en jouant, tu libères des choses très personnelles. Il ne dit pas « Je veux ça », tu n’es pas dans l’exécution. Il dirige beaucoup, mais il attend que l’on soit créateur et que l’on propose quelque chose.

    Ad Vitam

    C’est ce qui vous intéresse, de lâcher un peu la bride de vos acteurs ?

    AH : Moi j’adore les acteurs qui ont des sensibilités d’auteur. Leur imaginaire va prendre le relais du mien. J’ai écrit des rôles, des situations, le film. J’ai des choses déterminées que je veux atteindre, des états, et…

    NS : C’est exactement ça, ça nous stimulait énormément !

    AH : Certains acteurs veulent qu’on leur dicte exactement le chemin à prendre ou le mot à dire, mais moi j’ai besoin que l’acteur investisse une situation. Le cinéma c’est l’imaginaire. Comment une scène très réaliste et concrète va ouvrir une brèche, créer un départ de l’imaginaire pour l’acteur.

    Votre film est un thriller, une sorte de cocotte qui boue dont on sait qu’elle va sauter… Vous avez écrit à six mains, comment s’est passée l’écriture pour maintenir le suspense sur la durée ?

    AH : Ce n’était pas un enjeu facile. Le film devait être efficace en termes de narration. La promesse de la vengeance est donnée assez vite, et cela s’incarne dans un casse, mais il fallait le suggérer assez tôt et ensuite aller au bout de cette promesse-là. On a tous un imaginaire de cinéma constitué des films de Michael Mann ou de Quand la ville dort de John Huston. Il y a de grands exemples de films de casse, donc il ne fallait pas décevoir. Et c’est pour ça que ce n’est pas juste un film de casse, il y a une tragédie familiale, la découverte d’un milieu. Il fallait que ça étende l’univers du film horizontalement sans jamais perdre la ligne verticale du casse que le spectateur ne devait pas oublier. Et ça c’était une tension difficile à l’écriture.

    Ad Vitam

    Vous avez écrit à six mains. Comment s’est déroulé votre travail d’écriture collaborative ?

    AH : J’ai d’abord écrit avec un co-scénariste, Vincent Poymiro, avec lequel on a vraiment fait la construction très très rigoureuse, qui nous a pris longtemps, avant même les scènes et les dialogues. On a abouti à une première version. Puis est arrivée Agnès Feuvre, avec qui le dernier mouvement s’est fait, où on a beaucoup travaillé sur les personnages, notamment le personnage féminin.

    Et justement, j’ai trouvé intéressant ce personnage principal qui au départ a une famille d’adoption puis s’en trouve une, et vous sortez de cet archétype que l’on a vu dans beaucoup de polars du héros qui revient dans une famille. Vous en faites plutôt quelqu’un qui va refuser de vivre dans le mensonge et quitter cette famille. C’était une volonté d’écriture pour vous Arthur, et du travail pour retranscrire cela à l’écran, Niels ?

    NS : C’est ce que l’Indien [du film] lui dit. (…) Il doit s’affranchir de tous ses pères de substitution en assumant. Ce que Joe lui propose, c’est une autre prison. Il restera prisonnier de son passé, mais au moins il retrouve une sorte de liberté.

    AH : ça c’était une volonté. Dans les modèles de film sur ce genre de récit, le personnage se retrouve quasi systématiquement soit enfermé dans la famille –c’est le modèle James Gray, on va dire, soit il assume presque monstrueusement ou cyniquement et devient le chef –Le Parrain ou Animal Kingdom. Et je voulais essayer d’échapper à ce modèle.(…) Je voulais que ce soit une tragédie où la logique clanique ou familiale n’a pas le dernier mot.

    (…) Mon film a la fin la plus tragique qui soit, car c’est une forme de bannissement, et il n’aura plus jamais accès à un endroit où il a trouvé quelque chose de lui-même, et en même temps c’est sa seule possibilité d’être libre. Une liberté tragique en somme.

    Un Diamant noir…

    AH : Oui, un espoir amer.

    Ad Vitam

    Et ce milieu de la diamanterie, j’imagine que vous l’avez exploré par la documentation, et vous Niels, par des exercices pratiques, car on vous voit « tailler » le diamant à l’écran.

    AH : Beaucoup de documentation, oui.

    NS : Oui, on a rencontré des tailleurs, on a fait 2-3 séances de taille. La pression est forte dans ce milieu, car la moindre erreur coûte très très cher.

    Ce basculement qu’on voit dans le film, de l’Inde qui commence à  prendre le marché sur les petites entreprises familiales, c’est une réalité ?

    AH : Oui, c’est une réalité qui date d’il y a 20-30 ans : les Indiens sont arrivés sur le marché et à Anvers notamment, et ce sont eux qui dominent le marché. Il y a encore une boîte moitié belge-moitié anglaise puissante qui s’appelle De Beers (…). Les grosses boîtes écrasent les petits diamantaires, qui peuvent rapidement tout perdre.

    LA SUITE DE L’INTERVIEW CONTIENT DES SPOILERS POUR LA FIN ET LA SURPRISE DU FILM

    Dans le film, il y a toute une utilisation de gros plans sur l’œil, pourquoi ce fil rouge ?

    AH : Parce que le héros est prisonnier de sa subjectivité. On lui a raconté  une histoire, qui pour lui est la vérité. La scène d’ouverture vit en lui, alors qu’il ne l’a pas vécu. Cette image le hante, mais il a recomposé un souvenir de son père. Et on ne sait pas si ce souvenir est tel qu’il est décrit, et le film va mettre en crise cette version…

    C’était une idée intéressante, parce que le spectateur aussi subit le même cheminement…

    AH : C’est exactement pour ça que j’ai mis cette scène au début du film. Elle peut choquer ou gêner un peu des gens car elle est très particulière par sa violence,  et par son esthétisme, mais je voulais tendre un piège au spectateur. Le film est l’histoire d’un type qui a quelque chose dans son œil qui l’empêche de voir. Donc pour moi l’abcès qu’on voit, c’est cette scène. Ça lui laisse quelque chose dans l’œil.(…)

    Ad Vitam

    Il y a aussi l’œil du réalisateur, Niels. Vous avez joué dans 5 premiers films de metteurs en scène ; j’imagine que cela est plus dû au hasard ou aux rencontres qu’à autre chose, mais n’est-ce pas inconsciemment une façon pour vous d’avoir été cherché des regards différents sur le cinéma ?

    NS : Oui, c’est vrai que j’en ai fait beaucoup, même avant [Xavier] Dolan, il y avait Tout est parfait de Yves Christian Fournier, et un film d’Héléna Klotz, L’Age atomique. Puis Héléna était très amie avec Yann Gonzalez [avec qui j’ai fait] Les Rencontres d’après minuit. Yann était très ami avec Shanti Masud avec qui j’ai fait [le moyen métrage] Métamorphoses

    Arthur Harari intervient :

    AH : Shanti Masud, c’est elle qui m’a conseillé de rencontrer Niels pour le rôle de Diamant Noir…

    NS : Donc c’est un hasard sans en être. Mais je ne suis pas attiré par les premiers films spécifiquement, ce n’est pas parce que c’est un premier film que c’est bien. Mais j’étais attiré par le goût du romanesque  de ces metteurs en scène. Arthur arrive à avoir un côté documentaire d’une façon inattendue. Il s’approprie l’emprise qu’avait Pialat sur le cinéma français, pour en faire quelque chose de très personnel.

     

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