Portrait croisé
L’extraordinaire force vitale d’Anaïs est assez marquante. Enfant placée, issue d’une famille extrêmement modeste sur le plan socio-culturel (un euphémisme), peu en réussite à l’école… elle s’engage dans la vie avec un sérieux handicap. Pourtant, malgré ces difficultés, elle fait preuve d’un désir assez obstiné de s’émanciper de cet environnement familial pesant pour mener sa propre existence. Et puisque le parti-pris de Lifshitz est de faire de la confrontation mère-fille une condition sine qua non à l’obtention de l’indépendance, on est plusieurs fois surpris de constater une inversion des rôles, Anaïs se montrant parfois rassurante avec sa mère (qui est d’une immaturité consternante), lui donnant même, sur la fin, des conseils de vie (!). On me dira que, partie de rien, Anaïs n’a rien à perdre. C’est vrai. Mais encore faut-il franchir le pas, surtout quand on bénéficie d’aussi peu de soutien.
A l’écran, et pour en venir au traitement cinématographique, j’ai trouvé l’impression laissée par la jeune fille assez forte. Et je crois que cette force vient du fait que son désir d’émancipation répond à celui de son amie d’enfance, Emma, pour qui la situation est plus compliquée alors que tout laissait à penser du contraire.
Emma est issue d’un milieu bourgeois. Elle est belle et intelligente ; taciturne aussi. L’exact inverse d’Anaïs en somme ! Sauf qu’Emma, pour s’extraire de ce milieu familial où elle étouffe, a peut-être beaucoup plus à perdre… Elle bénéficie du confort, de la sécurité matérielle, de l’accès à la culture. Le pari de tout plaquer est donc plus risqué.
Ce qui relie les deux jeunes filles, leur trait commun, là où se gagne leur passe pour la liberté, c’est dans la lutte qu’elles entretiennent avec leur mère. Et du côté d’Emma, là aussi, le choix de ce qui est montré s’avère judicieux : il y aurait donc une mère suffisamment cruelle pour continuer de faire faire ses devoirs à sa fille, âgée de presque 18 ans ? Une mère qui profiterait de ces moments pour faire étalage de son exaspération, de sa supériorité intellectuelle, de son infinie froideur ? Eh bien oui ! Et s’il est vrai que Lishfitz soigne un peu trop son motif « colère d’Emma versus froideur de la mère », ces séquences de confrontation trouvent une résonnance particulière avec celles qui concernent Anaïs, pourtant d’une tout autre nature.
C’est, selon moi, et malgré le caractère très préétabli du scénario et de la prise d’images, dans le croisement de ces deux portraits – que tout oppose « à priori » – que le film trouve sa voie, que le tableau d’un désir adolescent d’émancipation prend du relief, et donc de l’intérêt.