On aime Robert Guediguian. Et sa famille. Sa famille de coeur, qui se confond en partie avec sa famille dans la vie.... On l'aime, parce qu'il est resté fidèle à ses idéaux de jeunesse, qu'il n'a rien perdu en route, qu'il croit toujours à ce monde idéal, ce vieux monde où la solidarité ouvrière se conjuguait avec le bonheur des plaisirs simples: l'installation du sapin de Noël collectif, ou un chahut adolescent et estival dans cette merveilleuse Méditerranée...
Dans cette oeuvre où la joie (parfois) d'exister se mêle subtilement à la nostalgie, on sent bien que Guediguian sait que ce monde est condamné. Et cela donne un film atypique et hétéroclite, où des moments de tendresse et de poésie succèdent à des épisodes franchement niais -aux frontières du ridicule!
C'est une calanque de Marseille, un vrai petit paradis, un paysage miraculeux même si le viaduc ferroviaire qui le surplombe nous ramène régulièrement aux réalités du monde. Le sentier des douaniers qui court le long du littoral, quelle splendeur! On est chez Cézanne....
Autrefois il y avait une vie de quartier, mais maintenant les cabanons restants ne sont plus fréquentés que l'été. Il n'y a plus que trois familles: un vieux couple, Martin et Suzanne (Jacques Boudet et Geneviève Mnich); leur ami de toujours, Maurice (Fred Ulysse) et un jeune pêcheur, Benjamin, qui mène sa barque en récitant du Claudel, car il est fou de théâtre depuis qu'il a vu Angèle dans "La bonne âme de Se-Tchouan", et le promène dans les écoles avec sa troupe d'amateurs.Autant le dire tout de suite: Robinson Stevenin qui arbore le visage du ravi de la crèche est exécrable. A oublier dans sa filmographie....
Maurice vit dans une très belle villa, construite de ses mains avec tous ses amis. Tous les artisans de la calanque ont prêté la main. Le soir, il va sur sa terrasse contempler ce paysage idyllique -jusqu'à l'AVC qui va faire revenir autour de lui ses trois enfants. A vrai dire, Armand (Gérard Meylan) ne l'a jamais quitté. Sa seule ambition était de continuer l'oeuvre de Maurice, tenir un petit restaurant pas cher, pour que tout le monde puisse en profiter (toujours l'utopie guediguienne....). Joseph (Jean-Pierre Darroussin), intello gauchiste et apparemment fort à l'aise, depuis qu'il a été licencié a sombré dans une dépression larvée, avec beaucoup d'apitoiement sur lui même -et chacune de ses phrases est à ne comprendre qu'au second degré.... De plus, il a une compagne bien trop jeune qui commence à le trouver assommant (Anaïs Demoustier).
Et puis il y a Angèle (Ariane Ascaride) qui a réussi au théâtre, celle dont Benjamin est tombé amoureux quand il était gamin, et ça ne l'a jamais quitté. Angèle qui n'est pas venue depuis vingt ans à la villa, depuis que sa petite fille, laissée à la garde de Maurice et des tontons, malgré l'opposition de son père, a échappé à leur vigilance et s'est noyée, images insoutenables.... Angèle y a tout perdu, son enfant, son couple. Et elle en veut à Maurice qu'elle estime responsable, qu'elle n'a jamais voulu revoir. Ils vont se retrouver tous, se disputer, s'apercevoir qu'ils s'aiment, et reconstituer fugitivement ce paradis de l'adolescence, évoqué par des images du trio, tourné par Guediguian pour son premier film.....
Que faire quand à la cinquantaine, on constate qu'on n'a pas eu grand chose de la vie? Que faire face à un père transformé en légume, et qu'on ne veut pas abandonner dans un mouroir à vieillards? Que faire quand, comme Martin et Suzanne, accablés par le manque d'argent, on ne veut rien devoir à personne, même au fils devenu médecin (la fierté ouvrière, selon Guediguian), et que l'idée d'une séparation, lorsque la mort prendra un des éléments du vieux couple, est insupportable? Toutes ces questions qui sont les nôtres, si profondes, si universelles, elles nous touchent au plus profond de nous même et c'est en cela que Guediguian est grand!
Hélas, il ne peut nous épargner son préchi-précha, son côté donneur de leçons, et pour cela introduit trois petits enfants perdus, rescapés du naufrage d'un bateau de migrants.... L'armée patrouille pour rechercher ces migrants qui peuvent être dangereux, qui peuvent abriter des terroristes. Naturellement notre trio est prêt à tout pour protéger les malheureux. On sent que Guediguian se donne un mal de chien pour que le sous-off qui dirige la patrouille ne soit pas trop antipathique (d'ailleurs, il est noir....), il fait son (sale) boulot quoi, mais rien à faire: c'est une caricature....
Donc à voir absolument , parce que le très bon, ce sentiment de la fuite du temps, de la disparition d'un monde fraternel dont seule la nature vierge peut nous consoler représente quand même l'essentiel du film. Enfin, si vous n'êtes que pour la droite libérale et progressiste, mieux vaut passer votre chemin....