Lorsqu’on décide d’aller voir un film de Robert Guédiguian, on sait d’emblée qu’on y retrouvera son trio d’acteurs préféré (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan), que Marseille sera mise à l’honneur et que le scenario et les dialogues seront truffés de références politiques. « La villa » n’échappe pas à la règle. Après avoir été amis et voisins dans « Marius et Janette », mari, femme et amant dans « Marie-Jo et ses deux amours », mari, femme et collègue dans « Les neiges du Kilimandjaro » pour ne reprendre que les principaux films de Guédiguian, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin et Ariane Ascaride campent cette fois-ci trois frères et sœur, que l’accident cérébral de leur père va forcer à se retrouver après une longue séparation dans l’endroit où ils ont grandi, ce petit port de pêche coincé entre calanque et viaduc. Ces retrouvailles sont l’occasion pour les trois personnages de se remémorer leur jeunesse et de revenir sur les échecs et les souffrances de leur vie.
Guédiguian fait ainsi de la nostalgie le thème central de son film en insistant notamment via quelques flash-backs sur les temps plus heureux où le petit port de pêche prenait un aspect plus coloré, social et solidaire, quand le Père-Noel distribuait de façon aléatoire des cadeaux à la foule rassemblée au pied du sapin collectif ou quand les dimanches d’été étaient l’occasion d’une virée en bagnole entre frères et sœur, les cheveux au vent, suivie d’un plongeon désordonné dans les eaux du port (très jolie scène rythmée par une chanson de Bob Dylan, seul moment musical du film). Cette impression de déclin est accentuée par ce pale soleil de janvier qui éclaire chacune des scènes et par ce train qui parcourt inlassablement le viaduc sans jamais marquer d’arrêt comme si la calanque était devenue un de ces déserts de plus dans cette France à l’abandon. Le petit port de pêche n’est plus désormais habité l’hiver que par quelques autochtones mélancoliques sans le sou tandis qu’il reste la cible de promoteurs immobiliers qui y voient une occasion en or de faire fructifier leurs affaires en y acheminant des hordes de touristes l’été.
Guédiguian profite de ces retrouvailles entre frères et sœur pour aborder d’autres thèmes, notamment la solidarité intergénérationnelle (et ses limites), la solidité des liens familiaux, la transmission de patrimoine, la différence de valeurs entre les jeunes professionnels et leurs ainés. Certains autres de ses thèmes ont une connotation politique plus marquée, comme l’écologie, la notion de bien commun, l’accès à la culture pour tous, l’obsession sécuritaire et bien évidemment le pouvoir d’achat et les inégalités financières.
Sa mise en scène reste sobre et efficace, ses dialogues font souvent mouche. Outre ses trois acteurs fétiches, Guédiguian met en valeur ses seconds rôles habituels (Jacques Boudet, Robinson Stevenin, Anaïs Demoustier, Yann Tregouet) auxquels il confère une place importante à un point tel que son film donne l’impression par moments de ne pas avoir de personnages principaux.
A travers ses films, Guédiguian nous livre toujours des messages forts même s’il peut avoir tendance à vouloir les accentuer par le biais de situations invraisemblables. Il en va ainsi du suicide collectif de ce couple de voisins ou de ce bateau de migrants venu s’échouer sur les côtes méditerranéennes françaises (depuis quand les migrants venus du Kurdistan ou de Syrie font-ils une traversée de la Méditerranée aussi longue ?), qui, dans « La Villa » semblent maladroites au regard du souci permanent du réalisateur de coller à la réalité. Néanmoins, le message d’espoir et de solidarité retrouvée qu’il nous livre par le biais de ce bain de jouvence accordé aux trois frères et sœur et qui fait écho à celui qui ponctuait « Les neiges du Kilimandjaro », nous amène une fois de plus à nous interroger sur ce que nous sommes, sur les valeurs auxquelles nous croyons et sur notre rapport aux autres. Des réflexions qui ne nous habitent pas uniquement à la sortie de la salle, mais pendant les jours voire les semaines qui suivent. Quelle aurait été notre réaction si nous avions nous-mêmes découvert en amont du sentier de notre promenade habituelle des enfants de migrants affamés et transis de froid : les aurions-nous recueillis, aurions-nous alerté la gendarmerie ou aurions-nous simplement passé notre chemin, aveuglés par notre petit confort bourgeois et notre égoïsme de tous les jours ?