Actrices : les secrets du tournage

Présenté en Sélection officielle au 60e Festival de Cannes, Actrices a décroché un Prix spécial du jury Un Certain Regard. La présidente du jury de cette section était Pascale Ferran.

Valeria Bruni Tedeschi précise ses intentions : "[le film parle] d'une femme qui se sent au milieu de sa vie et qui a l'impression tout à coup de se réveiller. Comme si elle avait dormi toute sa vie, ou vécu en songe, hors de la réalité. C'est une actrice. Jouer est son métier. Elle a beaucoup vécu sur scène. Aimé sur scène. Souffert sur scène. Désiré sur scène. Dans sa vie, elle est seule. Elle n'a pas d'enfant. Pourquoi en est-elle là ? Au fond, elle ne le sait pas. La mort de son père ? De son premier amoureux ? La présence envahissante de sa mère ? Le temps a passé sans qu'elle n'ait le temps. Le temps de quoi ? D'avoir le temps. "La vie est un songe" pourrait vraiment être le titre de mon film."

Dans Actrices, Marceline répète la pièce Un mois à la campagne de Tourgueniev, une pièce qui reste associée à un épisode très particulier dans la carrière de comédienne de Valeria Bruni Tedeschi. Celle-ci a en effet incarné Natalia Petrovna dans un spectacle mis en scène par Yves Beaunesne en 2000, mais un jour, elle a été renvoyée et remplacée par l'assistante du metteur en scène. C'est d'ailleurs en évoquant ce souvenir avec Noémie Lvovsky que l'idée du film est née. "On m'a congédiée, mais je pense au fond que je voulais partir, que je ne voulais plus jouer, exactement comme Marceline (...)", explique aujourd'hui la cinéaste, qui estime que le choix de cette pièce pour son film lui permet de se "réconcilier avec ce classique du répertoire russe et avec son magnifique personnage principal (...)"

Le film a été tourné au Théâtre des Amandiers, là où l'actrice apprit son métier de comédienne dans les années 80. "Tourner là-bas c'était retourner chez moi", reconnaît-elle. "J'ai pratiquement vécu en permanence pendant deux ans dans ce lieu. Il a été la base physique, spatiale, de ma formation théâtrale. L'époque où je jouais sous les directions de pPatrice Chéreau et de Pierre Romans a été complètement fondatrice de ma vie professionnelle, amoureuse, et bien sûr amicale. Et quand j'y suis revenue pour le film, j'ai été frappée par la beauté du théâtre, par ses couleurs qui me semblaient très cinématographiques. Et puis le film me permettait de retravailler avec certains de mes anciens partenaires de Nanterre comme Laurent Grévill, Bernard Nissile, Olivier Rabourdin et Frank Demules. C'était vraiment très important de lier ces acteurs-là aux nouveaux venus comme Louis, Laetitia, Mathieu, Noémie.

Actrices brosse le portrait d'une femme à travers ses interrogations à la fois personnelles et professionnelles. Valeria Bruni Tedeschi revient sur ce mélange : "J'avais écrit deux scènes : une visite chez un gynécologue où l'on me disait qu'il me restait peu de temps pour faire un enfant, et une scène où je racontais à un inconnu l'histoire de la pièce de théâtre que je m'apprêtais à jouer. Un jour, pour voir, j'ai mélangé les deux scènes. Il s'est passé comme une sorte de choc, la vie privée et intime de Marcelline est apparue, exactement, précisément. Les autres éléments du film ont commencé à se déterminer aussi et à prendre du sens : ainsi le personnage de Nathalie, l'asssistante du metteur en scène, devait impérieusement être une femme mariée avec des enfants... L'histoire s'est, de cette façon, construite comme un jeu de miroirrs et tout s'est alors écrit assez naturellement. Le plus délicat a été de mettre au point tout le jeu d'échos entre la pièce de Tourgueniev et tout ce qui se tramait autour."

Noémie Lvovsky et Valeria Bruni Tedeschi ont noué une belle complicité depuis Dis-moi oui, dis-moi non en 1990, court métrage réalisé par la première et interprété par la seconde. L'actrice franco-italienne fut l'héroïne d'Oublie-moi, et a fait des apparitions dans La Vie ne me fait pas peur et Les Sentiments, avant de tenir un des rôles principaux de Faut que ça danse !. Et Noémie Lvovsky a co-écrit les scénarios des deux premiers longs métrages de la comédienne : Il est plus facile pour un chameau... et Actrices dont elle est aussi une des interprètes... A noter que le thème de la maternité est commun à Faut que ça danse ! et Actrices, deux films sortis à quelques semaines d'intervalle (le 14 novembre et le 26 décembre)

Pour jouer le rôle de sa mère, Valeria Bruni Tedeschi a fait appel à sa propre mère, Marisa Borini. C'était déjà le cas dans le premier long métrage-autoportrait de l'actrice, Il est plus facile pour un chameau..., qui marquait les débuts (tardifs...) de cette pianiste devant la caméra. Depuis, elle ne travaille pas seulement avec sa fille, puisqu'on la vue dans La Petite Chartreuse et La Boîte noire.

Au départ, Valeria Bruni Tedeschi avait pensé appeler son héroïne Valentine, un prénom jugé finalement "trop sérieux". Elle a donc opté pour Marceline, "en rapport évidemment avec Marcello Mastroianni, l'acteur qui est pour moi synonyme d'autodérision".

Crises de larmes et crises de rires se succèdent dans Actrices. "C'est de l'humour un peu tragi-comique", explique Valeria Bruni Tedeschi. "C'est comme avoir un fou rire à un enterrement, on a honte et pourtant c'est libérateur. Je ne saurais pas dire les raisons de ce type de rire, peut-être qu'une part de nous se révolte, a besoin d'être incorrecte. Il faut rire, sinon la vie est trop angoissante (...) C'est un instinct de survie. Le fou rire interdit est, d'autre part, un peu peu à la base de mon métier de comédienne. La première fois que j'ai eu un fou rire sur scène, je lai instinctivement intégré à mon texte, il ne fallait surtout pas arrêter de jouer, c'est mon personnage qui avait un fou rire, pas moi."

Avant de choisir Actrices ("un mot à la fois dur et brillant, comme ce métier"), Valeria Bruni Tedeschi a songé à plusieurs autres titres : Ce soir, on va au théâtre, Ma vie de femme ou encore Le Rêve de la nuit d'avant.