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    Zoom sur... Xavier Dolan

    <i>"Si vous faites un mélange de "J’ai tué ma mère" et des "Amours imaginaires", vous risquez d’en apprendre plus sur moi que si l’on se parle présentement"</i>, affirmait-il il y a quelques mois, avec son petit accent québécois. On n’allait tout de même pas en rester là ! Une semaine avant la sortie en salles de son deuxième film, rencontre avec Xavier Dolan, auteur, réalisateur et acteur de génie.

    Maison MK2. Allure décidée, pantalon fuselé, lunettes tendances et mèche rebelle, Xavier Dolan passe la porte, s’excuse de son retard, se volatilise puis revient, enfin disponible. Le ton est donné : ce jeune homme de 21 ans vit à toute allure.

    Il était une fois...

    "Relativement heureuse, banale et normale" : son enfance, Xavier Dolan l’a passée sur les plateaux à tourner téléfilms et spots publicitaires. Enfant-vedette de l’acteur égyptien Manuel Tadros, le jeune garçon acquiert très tôt cette "polyvalence" qui fait aujourd’hui sa renommée. Lorsque le téléphone arrête de sonner, ses parents l’envoient en pension, creusant un gouffre entre lui et sa passion. De retour à Montréal quelques années plus tard, tout est à refaire. Très vite, contre l’avis parental et au nom de sa créativité "castrée", il abandonne ses études de Lettres : "Ma mère tenait à ce que l’école soit ma première carrière, elle aimait répéter cette expression qu’elle était si fière d’avoir trouvée", commente-t-il non sans ironie. La mère de Xavier Dolan, tout le monde en a entendu parler. Après l’avoir freiné, elle est celle qui indirectement le conduira à ce travail de distanciation, à l’œuvre dans J'ai tué ma mère. Un film-aveu, pensé envers et pour elle.

    Mais avant cela, il y avait déjà le cinéma et le jeu plus précisément. Pour les réalisateurs québécois Claude Fournier (J'en suis) et Roger Cantin (La Forteresse suspendue) puis pour le Français Pascal Laugier (Martyrs). De ce dernier film sanglant -dans lequel il se fait assassiner dès la première scène- l’adolescent ne retient que les rencontres féminines qui l’ont façonné : Patricia Tulasne et Mylène Jampanoï, "deux très bonnes amies et femmes formidables". Les femmes chez Dolan. Déjà...

    ...un acteur

    La première fois qu’il s’est vu à l’écran, il avait tout juste 4 ans : "Très tôt, j’ai éprouvé du dédain, forcément, un très fort jugement autocritique. Mais plus ça va, plus je suis fier de ce que je peux faire en tant qu’acteur", confie-t-il. Exigeant avec lui-même, l'acteur reconnaît ses tics, son peu d’expérience et certaines "erreurs de jeunesse", toutes perfectibles. Il a récemment été la voix québécoise de Rupert Grint (Harry Potter) et de Taylor Lautner (Twilight), deux acteurs "habiles et capables de tout", qu’il n’envie pourtant pas. De ce cinéma américain pour jeunes adolescents, il ne retient que l’efficacité dans le divertissement. Aux Harry Potter "mieux ficelés et filmés", il oppose les défauts d’étalonnage d’un Twilight bâclé et se lance dans une explication sur la saturation des mauves et les oublis de filtre : "un défaut technique inacceptable pour une production de 85 millions !" Il est comme ça Xavier, minutieux jusque dans le jugement.

    Autodidacte

    La technique cinéma, ça le connaît. Lorsqu’on lui demande où il a appris son métier, il répond d’un trait : "en faisant". Sur J'ai tué ma mère, à peine trois jours lui ont été nécessaires pour se familiariser avec le dispositif, "le rythme et la musique".

    Tout est parti d’une nouvelle, Le Matricide. De ce fragment surréaliste rédigé à 15 ans, Xavier Dolan fait un scénario hyperréaliste, inspiré "des détails irritants du quotidien". Une autobiographie fantasmée, réécrite en deux jours, de laquelle naît un long-métrage qu’il interprète, met en scène et produit avec ses cachets d’enfant-acteur. En mai 2009, le Festival de Cannes lui offre sa "première première, émouvante, virginale, étincelante". Auréolé de trois récompenses à la Quinzaine des Réalisateurs, sa déclaration d’amour/haine à sa mère, enchante la critique. Le début d’un long parcours, de promotion en mondanités.

    Jeune homme pressé

    "J’ai un rapport difficile avec le verbe lorsqu’il s’agit de parler de moi et de mes films. C’est l’aspect créatif qui m’intéresse et sans vouloir être un enfant gâté qui ne fait que manger le dessert en sautant toutes les étapes du repas, je voudrais dire que ce n'est pas ma tasse de thé et que ça m’enlève un peu de plaisir…. Je préfère faire les films." En une phrase, presque murmurée comme pour s’en excuser, tout s’explique : les impatiences que l’on devine lors de ses interviews filmées, les mouvements de jambes, les verres d’eau servis à répétition, les regards fuyants…"Les gens me demandent quel cinéaste je serai dans 40 ans ! Je ne sais pas, mais ce que je sais en revanche, c’est que j’aurai répondu 80000 fois à cette question." Peut-être eût–il mieux fait d’être peintre ou poète tant le 7e art a son lot obligé de mondanités... On se gardera bien de le lui suggérer.

    Le scénario de son deuxième film, il l’a écrit en 10h. Dans un train, entre deux festivals, parce qu’il était bloqué sur son projet en cours pour des questions de temps et d’argent, et angoissé à l’idée de ne rien faire. Xavier Dolan est un impatient, conscient du temps qui passe et animé de l’urgence de vivre : "la rage de l’ère moderne", diagnostiquait tendrement l’actrice Anne Dorval (la victime de son génial matricide). Ce qu’il a à raconter doit être mis en scène quitte à prendre des risques et à porter tous les chapeaux. Scénariste, metteur en scène et à l’occasion monteur, le jeune homme s’était improvisé chef-décorateur sur son premier film, choisissant de contraster ses univers en les colorisant de façon différente. Sur le second, il supervisera le choix de tous les costumes : "à la mode", Xavier Dolan l’est incontestablement.

    Prodige sous influences

    Pop par son look ET par sa mise en scène : bande-son branchée, zooms pour confessions à cœur ouvert, ralentis sur les corps, le cinéma de Dolan est fougueux et audacieux. On parlait de Wong Kar-Wai pour J'ai tué ma mère, il avait alors cité Pollock, Matisse ou Klimt. On a pensé à Pedro Almodóvar pour ses Amours Imaginaires, il préfère évoquer Stendhal, Barthes, Cocteau ou encore Michel-Ange. Éventuellement Woody Allen et Gregg Araki. Culotté, il ne lâche rien, s’insurge contre les références qu’on lui prête, cite Maupassant et Alfred de Musset, avoue dévorer des recueils de poèmes et de correspondances "d’auteurs à leur mère". La culture, il en est devenu accro à 16 ans, sous l’impulsion de sa belle-mère. Tout en improvisations contrôlées et en extravagances choisies, le cinéma est pour lui une affaire sérieuse, qui se nourrit de toute forme d’art et se doit de mettre en valeur des instants de vie.

    Dans Les Amours Imaginaires, il choisit de disséquer, toujours avec fraîcheur, la violence du sentiment amoureux. Nouveau pari, nouvelle victoire, Cannes est sous le charme. "Vous savez, tout ce que j’écris sur l’amour n’est qu’un appel à la contradiction, j’attends juste, j’espère, qu’on me contredise !" Après les superbes partitions écrites pour ses "muses" Anne Dorval et Monia Chokri, il mettra en scène Louis Garrel, un acteur qui avec Niels Schneider, s’inscrit parfaitement dans la lignée des héros qu’il affectionne : charmants, ambigus et torturés. Ce dernier volet de sa trilogie sur les "Amours Impossibles", intitulé Laurence Anyways, se penchera sur la question de la transsexualité, autour d’un thème qui nourrit sa vie privée autant que son cinéma : la différence.

    Cris du coeur

    "Si je fais ce métier c’est pour m’améliorer, rencontrer et travailler avec des gens, pas pour me prostituer aux quatre coins du pays et me vanter de faire des films et d’être jeune !" Dans l’urgence, il se confie, va à l’essentiel, à ce qui compte vraiment… Le public tout d’abord, celui du Québec, décevant car venu en trop petit nombre voir ses Amours Imaginaires puis celui de France, à qui il espère plaire. Ses acteurs ensuite, qu’il admire et veut rendre extraordinaires sous l’œil de sa caméra, afin de "s’inscrire dans leur œuvre". Ses craintes enfin : susciter l’indifférence ou l’indulgence, être étiqueté, stigmatisé, et …oublié en tant qu’acteur : "Les gens pensent que je suis un acteur limité, narcissique, un réalisateur qui se donne des rôles. Mais le jeu me manque. C’est ma vie et je vis sans cesse dans l’attente. J’ai de grands espoirs et je suis capable de beaucoup de choses, il faut qu’on me laisse ma chance, qu’on vienne me voir, je sais faire autre chose que "des jeunes gays qui hurlent"!" Lorsqu’on lui demande pour qui il aimerait jouer, les noms se bousculent : Araki, Haneke, Audiard, Chéreau. Avec qui ? Kate Winslet, Julianne Moore, Meryl Streep et James Franco. Fin de l’entretien.

    (En Off) Xavier toujours chaleureux, se détend sur son canapé, s’étonne : "Est ce que je vais au cinéma ? Pas le temps ! J’ai juste vu Notre jour viendra, extrêmement touchant." "Mon premier coup de cœur au cinéma ? Le Batman de Tim Burton, artistiquement formidable, visuellement créatif, glauque, drôle, marquant ! ou encore...Les Décalogues de Krzysztof Kieslowski ! J’aime tout de lui !"

    Mordu de cinéma, mordu de vie, Xavier Dolan s’est montré tour à tour abattu, enthousiaste, blasé ou amusé. Le verbe tantôt hésitant, tantôt urgent, toujours riche et approprié. Assoiffé de ce qu’il n’a pas encore, en marche vers la création et vers l’avenir… A toute allure.

    Laetitia Ratane

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