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    Cannes 2005 : la leçon d'actrice de Deneuve

    Catherine Deneuve était invitée ce jeudi par le Festival de Cannes à donner une "Lecon de cinéma". Morceaux choisis d'un cours magistral...

    En 2004, le Suédois Max von Sydow donnait la première "Leçon d'acteur" de l'histoire du Festival. Pour lui succéder, les organisateurs ont choisi cette année l'une des plus célèbres comédiennes françaises, celle qui a travaillé avec les réalisateurs les plus exigeants sans jamais rien perdre de son aura de star : Catherine Deneuve. "Je n'ai de leçon à donner à personne", lança-t-elle avec humour, après s'être vu remettre une Palme d'honneur d'interprétation par le Président Gilles Jacob (Lire notre article). Au cours d'un entretien avec Frédéric Mitterrand, ponctué d'extraits de films qu'elle avait choisis, l'actrice a néanmoins livré au public, venu en nombre, réflexions et confidences sur son métier et son parcours. Extraits.

    La critique comme moteur

    Il faut vraiment me supplier pour que je donne des conseils à de jeunes comédiens : rien n'est jamais pareil pour les uns et pour les autres. Même un acteur très accompli ne dispose que de sa propre expérience. En revanche, on peut faire des critiques. Les compliments font plaisir, bien sûr, mais ce sont les critiques qui permettent d'avancer. D'ailleurs, il est beaucoup plus difficile de recevoir un compliment qu'une critique.

    Le bon plaisir

    Je vais beaucoup au cinéma. Moi qui suis plutôt timide, j'aime aller voir les films en salles, au milieu du public : il y a là une ambiance particulière, qu'on ne retrouve pas en projection privée. Quand j'ai vu un film qui me plaît, qui m'emporte, j'éprouve vraiment une joie incroyable."

    L'enfance d'une star

    Je suis issue d'une famille nombreuse. Dans notre quartier il n'y avait que 2 ou 3 salles et à l'époque, aller au cinéma n'était pas une chose si courante. Un des premiers films que j'aie vus, c'était Quand la Marabunta gronde avec ces fourmis... Mon père travaillait dans le milieu du théâtre, mais il dirigeait aussi les doublages à la Paramount. Ma mère a d'ailleurs longtemps été la voix française d'Esther Williams.

    Demy-actrice

    Le déclic, c'est ma rencontre avec Jacques Demy sur Les Parapluies de Cherbourg. Ca été déterminant. Si je ne l'avais pas rencontré, je ne suis pas sûre que je serais restée actrice. J'avais tourné avant dans un film de Vadim, l'homme avec qui je vivais [Le Vice et la vertu], mais je n'avais encore vraiment le désir d'en faire mon métier. C'est quand j'ai commencé à tourner avec Demy que quelque chose s'est passé. Il m'a donné une force intérieure que j'ai gardée. Quand j'ai des difficultés, je repense très souvent aux choses à la fois simples et fondamentales qu'il m'avait dites à l'époque.

    Les tournages forment la jeunesse

    J'ai appris la vie en même temps que j'ai appris le cinéma, avec tous les avantages et les inconvénients que cela suppose. Ma chance, c'est d'avoir travaillé avec de grands cinéastes lorsque j'étais très jeune. J'étais curieuse, observatrice. Je parlais peu et écoutais beaucoup. Et puis je n'avais pas de formation particulière. J'étais très disponible, très ouverte. Si j'avais tourné dix ou quinze ans plus tard avec Polanski, je n'aurais peut-être pas eu le même plaisir, ni la même envie de me laisser porter. La difficulté pour un acteur, c'est de garder une disponibilité, une ouverture totale, afin d'entrer dans l'univers d'un cinéaste. Ca me semble pourtant fondamental.

    La nudité au cinéma

    Je n'aime pas la nudité au cinéma. Je suis sans doute pudique, mais même comme spectatrice, j'ai beaucoup de mal à voir des acteurs nus, car quand je vois les corps, je vois les êtres humains, et plus les personnages. Pour moi, les plus belles scènes de baisers sont chez Hitchcock et Kazan, et les plus belles scènes d'amour chez Bergman.

    Blonde on blonde

    Je n'ai jamais eu d'idole, à part peut-être Marilyn Monroe C'est une actrice qui me touche beaucoup. Je la trouve d'une féminité et d'une grâce inouies, aussi belle au cinéma que sur les photographies, aussi émouvante dans les drames que drôle dans les comédies.

    Faux risques...

    Ce qu'on appelle les risques pour les acteurs, c'est en vérité leur plus grande chance. Nous n'avons pas en France, comme aux Etats-Unis, un manager qui nous oblige à tourner seulement dans un certain type de films à partir du moment où on a du succès. Très vite, j'ai joué aussi dans des films d'auteur. C'est peut-être cette variété qui explique que le public ne se soit pas lassé de moi."

    ...et vraies souffrances

    En tant qu'acteur, il est évidemment impossible de n'avoir que des joies et des rencontres merveilleuses. Il m'est arrivé, à deux reprises, de souffrir pendant des tournages. Dans ces cas-là, j'essaie d'aller jusqu'au bout, en me protégeant. Ca m'est arrivé notamment sur un film qui me tenait vraiment très à coeur : il y a eu un clash avec un technicien, et la décision de la production le concernant m'a beaucoup choquée. Je me suis alors fermée comme une huître.

    "Le cinéma, ce n'est pas la vie"

    Je me souviens d'une scène très difficile pendant le tournage du Dernier métro. François Truffaut voulait que je fasse un déplacement qui me semblait très étrange, incongru. Je ne savais pas comment le lui dire. A bout d'arguments, je lui ai dit : "On ne bouge pas comme ça dans la vie". Ce à quoi il m'a répondu : "Mais on n'est pas dans la vie ! Si on était dans la vie, on ne prendrait pas des acteurs." J'ai très bien compris ce qu'il voulait dire. Bien des réalisateurs m'ont demandé de faire des choses très étranges, je pense notamment à Manoel de Oliveira : avec lui, on doit parfois s'adresser à la caméra, ou alors on est filmé complètement de profil. C'est très étrange. Mais Truffaut avait raison : le cinéma, ce n'est pas la vie.

    Les extraits de films choisis par Catherine Deneuve : Issus de sa filmographie : Ma saison préférée de Techiné et Le Vent de la nuit de Garrel En hommage à des comédiennes qu'elle admire : Loulou avec Louise Brooks, To be or not to be avec Carole Lombard, Une femme qui s'affiche avec Judy Holliday, Bus Stop avec Marilyn Monroe, La Peau douce avec sa soeur Françoise Dorléac et Elizabeth avec Cate Blanchett.

    Recueilli à Cannes le 12 mai 2005 par Julien Dokhan

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