Cormac McCarthy est un de mes écrivains préférés, et c'est avec une certaine appréhension que j'attendais l'adaptation de "La Route", qui lui a valu le Prix Pulitzer en 2007. Il s'agit de la troisième transposition au cinéma d'un de ses romans : je n'ai pas vu "De si jolis Chevaux" de Billy Bob Thornton, et la structure narrative complexe de "No Country for Old Men" se prêtait mieux au passage à l'écran, surtout avec les frères Coen derrière la caméra (en attendant l'adaptation de "Méridien de Sang" par Todd Field, sortie prévue en 2011).
Mon inquiétude se basait sur la difficulté de transposer à l'image ce roman à la forme si particulière, avec de courtes descriptions et des dialogues récurents entre le père et le fils qui créent la tension, plus morale que purement factuelle : dans un monde abandonnée de toute humanité, pourront-ils demeurer des "gentils" ? Sur le plan visuel, l'adaptation est une réussite, en mélangeant les images des peurs récentes de la civilisation : pluies acides, éruption du Mont Saint-Helen, tempêtes du siècle... La photographie sépia donne une forme aux mots de McCarthy : "Les nuits obscures au-delà de l'obscur et les jours plus gris que celui d'avant. Comme l'assaut d'on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie."
Concernant le scénario, mon inquiétude s'est trouvée confirmée dans un premier temps : insistance sur les flash-backs de la période avant l'apocalypse, place de la mère (il faut bien justifier le casting de Charlize Theron), à tel point que j'ai dû vérifier la présence de certains de ces éléments dans le livre que j'avais oubliés, tout cela semblait dénaturer l'essence du roman. De même, la mise en scène de certains éléments sur la sauvagerie des "méchants", même s'ils sont réellement présents dans le livre, leur donne une force brute finalement moins puissante que la suggestion des mots.
Et puis, heureusement, le récit parvient à trouver son équilibre en se recentrant sur l'essentiel, la relation du père et du fils. Le respect au mot près des dialogues permet de restituer leur intensité, portés par l'interprétation de Viggo Mortensen et celle du jeune Kodi Smit-McPhee à la ressemblance frappante avec Charlize Theron. La force de l'enjeu moral de ces discussions sur la transmission, la tenacité de l'envie de survie, le primat du bien sur la nécessité est suffisante en elle-même pour captiver le spectateur ; dommage que la musique de Nick Cave vienne souligner inutilement l'émotion du moment.
C'est sans doute là que réside la force et la faiblesse du film de John Hillcoat : la fidélité au roman et le respect des canons dominants du cinéma actuel. Cela permet de retrouver le canevas de l'histoire et de ses thèmes principaux ; il y manque juste l'équivalent cinématographique de la puissance littéraire de Cormac McCarthy. Là où les frères Coen avaient mis la dinguerie de leur mise en scène au service du récit déjanté de l'auteur de "No Country for Old Men", John Hillcoat ne peut offrir que le travail consciencieux d'un honnête artisan. C'est suffisant pour faire de "La Route" un film de bonne tenue, et trop limité pour en faire une oeuvre au niveau du roman original.
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