La Salamandre : les secrets du tournage

Tourné avec peu de moyens en 1971, La Salamandre est le deuxième long-métrage du fiction du cinéaste Alain Tanner qui, après plusieurs documentaires, avait signé en 1969 Charles mort ou vif. La Salamandre est en noir en blanc, ou plutôt, comme l'indique le générique, "en couleurs noires et blanches". Sorti peu après Mai 68, ce regard décalé sur la classe ouvrière remporte un vif succès à sa sortie, et fait de Tanner l'un des plus célèbres réalisateurs suisses contemporains.

Si elle avait déjà tourné une dizaine de longs-métrages, et notamment L'Amour fou de Jacques Rivette, l'actrice Bulle Ogier obtient avec La Salamandre son premier grand succès public. Ce film qui voyage dans les festivals, et recueille un accueil enthousiaste, la fait connaître à travers le monde.

La Salamandre a été présenté en 1971 au Festival de Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Il a par ailleurs obtenu, entre autres distinctions, le Grand Prix de la Confédération Internationale des Cinémas d'Art et d'Essais.

En 1971, La Salamandre fait l'ouverture du Saint-André-des-Arts, la salle de cinéma que vient d'ouvrir dans le Quartier latin un jeune cinéphile, Roger Diamantis. Le film d'Alain Tanner, que Diamantis a rencontré par hasard à Cannes, restera à l'affiche du Saint-André-des-Arts pendant un an où il réunira 200 000 spectateurs.

C'est Jean-Luc Bideau qui joue le rôle de Pierre, le journaliste, tandis que Paul, l'écrivain, est interprété par Jacques Denis, qui trouve là son premier vrai rôle à l'écran. Dans les années soixante-dix, le nom des deux acteurs est associé aux cinéastes de la "nouvelle vague suisse", tels que Michel Soutter, Claude Goretta, et, bien sûr, Alain Tanner. Jean-Luc Bideau ne cessera pas de tourner, en particulier en France, avec des réalisateurs comme Claude Sautet, Claude Chabrol ou Raoul Ruiz. Jacques Denis se fera plus discret, mais on le verra dans des films "engagés" comme La Question, de Laurent Heynemann ou Allons z'enfants d'Yves Boisset.

Vingt-cinq ans après La Salamandre, Alain Tanner tourne Fourbi, dans lequel il revisite son film-culte de 1971. Il y est en effet de nouveau question d'une jeune fille prénommée Rosemonde, qui a été, comme dans La Salamandre, au centre d'un fait divers, et qui doit raconter son histoire à un scénariste. Mais Tanner a adapté sa critique sociale aux années 90, et, dans Fourbi, le scénariste ne travaille pas pour le cinéma mais pour une chaîne de télévision privée. C'est Karin Viard qui interprète cette "nouvelle" Rosemonde, et Jean-Luc Bideau et Jacques Denis font des apparitions en forme de clins d'oeil. Sur le même principe, Tanner réalisera en 1999 Jonas et Lila, a demain en écho à Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000, un film qui date de 1976.

Le célèbre critique du Nouvel Observateur écrivait dans l'hebdomadaire à la sortie du film : "Rosemonde incarne le ras-le-bol hélvètique (...) Tout ce que demande la salamandre, c'est de ne pas flamber son indépendance. C'est la liberté d'être dans sa peau (...) Pierre, Paul, Rosemonde : étrange trio, qui vit le drame des rapports entre réalité et fiction, entre le vrai et le faux. Pierre, l'homme du réel, baise Rosemonde ; Paul, l'homme de l'imaginaire, l'aime. Lequel des deux "brûle" Rosemonde ? (...) La Salamandre émeut autant que Jules et Jim de François Truffaut, mais le sourire de Bulle Ogier, en conclusion, a beaucoup plus de portée que n'en avait la moue mélancolique de Jeanne Moreau".