Petit, j'avais la ratatouille en horreur. Quand j'ai lu le synopsis de ce film (un rat devient un grand cuisinier), et que j'ai vu qu'avant même la sortie en salle, le rat bleu faisait de la pub pour la Nissan-Note, c'est peu dire que je n'étais pas très chaud. Mais bon, dans le désert de la programmation estivale et intrigué par une très bonne critique, je me suis résolu à fouler un tapis de pop corn pour aller voir le dernier produit de l'alliance Disney-Pixar.
Et bien m'en a pris, puisque "Ratatouille" est une vraie réussite, tant du point de vue du graphisme et du rythme, que de celui de l'histoire et des personnages. La scène d'exposition qui nous montre Rémy et sa famille dans la maison d'une Tatie Danielle bigleuse et armée d'un tromblon évoque certains épisodes de "Wallace et Gromit" ou "Chicken Run", par la mise en scène de l'ingéniosité du peuple animal contre l'oppresseur bipède. Dès le départ, le récit fonctionne grâce à un timing impeccable et des mouvements virtuoses, comme celui de Rémy sur son esquif (le livre de recettes de Gusteau) aux prises avec les rapides et les chutes d'eau des collecteurs d'égoût.
Puis Rémy arrive à Paris ; l'équipe de Pixar a pris des milliers de vues de la ville-lumière, ce qui donne un résultat à la fois réaliste et poétique, notamment par le choix d'une "photographie" mordorée et l'ajout d'éléments gentillement clichés : deudeuches, DS, 4L..., ou la boutique Julien Aurouze de dératisation de la rue des Halles, que le père de Rémy vient montrer à son rejeton comme symbole de la cruauté des hommes. Et telle la camera d'Ozu tournant à hauteur de tatami, nous déambulons dans Paris en adoptant le point de vue d'un muridé.
Autre qualité de "Ratatouille", le soin documentaire digne d'Hergé sur le fonctionnement et la hiérarchie subtile d'une cuisine, qui nourrit le réalisme des personnages qui la peuplent, et particulièrement celui de Colette, qui a compris qu'elle devrait avoir une volonté de fer pour s'imposer dans ce monde machiste. Si le propos reste très moral (on est quand même chez Disney), avec une glorification du dépassement de soi-même et de la tolérance, les situations et les réactions des personnages échappent dans l'ensemble à tout manichéisme, à l'instar du concept humain de vol qui culpabilise Rémy alors que les siens n'y voient que la recherche légitime de la subsistance.
Certes, il y a bien des personnages caricaturaux, comme l'affreux Skinner, croisement de Super-Mario et de Rastapopoulos, avec son béret basque et sa fine moustache ; mais c'est une peu la fatalité des méchants dans les dessins animés grand public, et le critique gastronomique qui a conduit par son acharnement le restaurant de Gusteau au bord de la faillite, une sorte de Rogue étiré en hauteur, s'avère finalement plus complexe qu'il n'y paraissait au premier abord, rendu à son humanité par une ratatouille qui agit sur lui comme une madeleine sur Proust.
On peut déplorer aussi un petit creux dans le rythme aux deux tiers du film, correspondant au moment où Rémy, tel un travailleur émigré revenu au pays, se sent étranger à la fois parmi les siens et parmi les hommes. Mais ce n'est que passager, et la fin réserve quelques scènes de bravoure, comme l'organisation très coopérative de la cuisine quand le critique est dans la salle. Et puis, Rémy en apôtre de la bonne bouffe au pays du McDo, voire en ambassadeur de la gastronomie française, c'est bien une des surprises les plus réjouissantes de ce morne été cinématographique.
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