Dans le microcosme des thrillers horrifiques, "Saw" (ou "Décadence" au Québec) occupe une niche singulière, jonglant habilement entre l'ingéniosité narrative et la brutalité viscérale. Le film, qui marque les débuts de réalisateur de James Wan, s'aventure dans l'espace sombre et torturé de l'esprit humain, mettant en lumière les abîmes que l'on peut atteindre sous la pression de la survie.
La trame de "Saw" se distingue par son approche non linéaire, un choix audacieux qui contribue à un sentiment d'urgence et de désorientation. Le spectateur, plongé dans une atmosphère claustrophobique dès les premières scènes, est invité à assembler les pièces du puzzle en même temps que les protagonistes, Lawrence et Adam. Ce procédé narratif, empruntant à la fois à "Cube" pour son huis clos étouffant et à "Seven" pour son ambiance sombre et son penchant pour les énigmes macabres, crée une expérience immersive, bien que parfois désorientante.
Le concept central du film, celui d'un tueur en série qui force ses victimes à s'infliger des souffrances pour apprécier la vie, est à la fois intrigant et moralement dérangeant. Cette dichotomie est au cœur de l'expérience "Saw". D'un côté, il y a une critique sous-jacente de la valeur que l'on accorde à la vie et aux choix moraux. De l'autre, le film flirte dangereusement avec la glorification de la violence et du sadisme, risquant de réduire son propos à un simple spectacle de gore.
La mise en scène de Wan, bien que contrainte par un budget modeste et un calendrier serré, témoigne d'une inventivité louable. L'usage de la caméra, les jeux de lumière et d'ombre, et une bande sonore qui oscille entre l'anxiogène et le sinistre, contribuent à une ambiance qui est la véritable star du film. Cependant, cette ingéniosité technique ne parvient pas toujours à compenser les lacunes du scénario, qui, malgré des moments de brillance, souffre parfois de dialogues peu convaincants et de rebondissements prévisibles.
Les performances, notamment celle de Cary Elwes, oscillent entre l'intensément captivant et le dramatiquement exagéré, reflétant peut-être les contraintes d'un tournage pressé. Tobin Bell, bien que sous-utilisé, imprègne le film d'une présence menaçante et énigmatique, promettant un potentiel sous-exploité.
"Saw" est un film qui, malgré ses imperfections, a su marquer le paysage cinématographique de son empreinte sanglante. Il se positionne à la croisée des chemins entre l'horreur psychologique et le spectacle de l'horreur physique, réussissant par moments à interroger la nature humaine, mais s'enlisant parfois dans les tréfonds du torture porn. Sa contribution à la renaissance du genre horrifique est indéniable, bien qu'elle puisse susciter un débat quant à la direction dans laquelle elle pousse ce genre.
En définitive, "Saw" est un film dont l'audace formelle et thématique mérite d'être reconnue, bien que son exécution soit par moments inégale. Son héritage, une saga qui s'étend bien au-delà de ce premier opus, témoigne de l'impact indélébile qu'il a laissé sur les amateurs d'horreur et de thriller, même si cet impact est aussi clivant qu'un piège de Jigsaw.