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    Gladiator : et si Ridley Scott avait mis la barre trop haut ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Genre abandonné depuis près de 40 ans à Hollywood, le Péplum a spectaculairement été ressuscité par Ridley Scott avec "Gladiator". Une moisson d'Oscars et un triomphe en salle plus tard, force est de constater que personne n'a su prendre la relève...

    Les années 50 furent un authentique âge d'or pour le genre du Péplum, en particulier le Péplum biblique : Ben-Hur, Les Dix commandements, ou Quo Vadis, pour ne citer que ceux-ci. Dans les années 60, la vague du péplum -un genre baptisé Sword & Sandals aux Etats-Unis- a continué avec un certain succès, mais bien moindre que durant la décennie passée.

    Et fut marquée par deux retentissants échecs au box-office qui scellèrent son sort : le pharaonique Cléopâtre avec sa production chaotique et les caprices d'Elizabeth Taylor. Et La Chute de l'empire romain, réalisé par Anthony Mann, sorti un an plus tard, en 1964.

    Le retour en force de la Bible à Hollywood

    Le film retrace les luttes intestines entre le tyran instable Commode, et le général Livius, digne disciple de Marc-Aurèle et désireux de faire de Rome un empire résistant à la misère et aux invasions barbares. L'histoire vous rappelle quelque chose ? Et oui, celle d'un certain Gladiator de Ridley Scott.

    Et pour cause : il en est un quasi remake déguisé, jusque dans ses scènes. Comme la plupart des productions de cette envergure, le film de Mann a coûté une fortune pour l'époque : 19 millions de dollars. Soit l'équivalent de 189 millions $ aujourd'hui. Il en rapporta moins de 5 millions $ au box office. Le désastre financier de La Chute de l'empire romain fut tel qu'il tua sa société de production, mise en liquidation en juin 1964.

    Are You Not Entertained ?

    36 ans plus tard, l'esclave qui défia un empire, sous les traits de Russell Crowe, va non seulement ressusciter un genre abandonné depuis des décennies par Hollywood, mais aussi relancer la carrière de Ridley Scott, gravement plombée dans les années 90 par une série de gros échecs commerciaux successifs. Ni 1492 : Christophe Colomb (1992), ni Lame de fond (1996) et ni À armes égales (1997) n'obtiendront les faveurs de la critique et du public. Avec Gladiator, Scott joue son va-tout.

    Un pari et un risque énorme, qui va s'avérer gagnant. Gladiator récoltera 465 millions de dollars au box office international, ce qui correspond à plus de 850 millions $, ajusté à l'inflation. En plus de moissonner cinq Oscars, dont ceux du Meilleur film et du Meilleur acteur pour Russell Crowe.

    DreamWorks SKG

    Un carton plein donc, qui va logiquement aiguiser les appétits des producteurs et des studios à Hollywood, trop heureux de voir une nouvelle brèche dans laquelle ils pourraient s'engouffrer. L'ennui, c'est que presque toutes les productions des années suivantes sont parties sur une spirale descendante...

    Troie de Wolfgang Petersen, sorti en 2004, a certes su tirer son épingle du jeu avec 497 millions $ au box office, mais combien de morts aux champs d'honneur ? Le Choc des titans, remake d'un classique de 1981, a permis de mettre en chantier une suite, mais celle-ci a été un énorme flop, faisant 150 millions de dollars en moins au box office que son aîné sorti trois ans plus tôt.

    Arrête ton char !

    Qui se souvient encore de Pompéi ? Le fiasco de Gods of Egypt ? La Légende d'Hercule et Hercule (sortis la même année !!!) ? Le Noé livré par Darren Aronofsky en 2014, colossal échec ? L'infiniment plus modeste Résurrection du Christ signé par Kevin Reynolds en 2016 ? L'échec terrible du Alexandre d'Oliver Stone, produit pour 155 millions de dollars (hors frais marketing, toujours...), qui ne sera même pas sauvé par sa version revisitée ? Ridley Scott lui-même n'a pas été épargné par cette hécatombe. Son Exodus : Gods & Kings, dans lequel Christian Bale joue Moïse, a été un terrible échec, avec pas même 270 millions $ au compteur.

    L'estocade a été portée par l'incompréhensible remake (pardon, la nouvelle adaptation...) de Ben-Hur, sortie en 2016 et signée par Timur Bekmambetov. Le réalisateur et le studio MGM avaient beau se défendre en expliquant que cette version était une nouvelle adaptation de l'oeuvre littéraire publiée en 1880, personne n'y a cru.

    MGM

    Comment pouvaient-ils s'imaginer marcher dans les pas du chef-d'oeuvre absolu de William Wyler, entré dans l'Histoire du cinéma avec ses 11 Oscars en 1959, sans compter ses morceaux de bravoure ? Le (nouveau) char conduit par Jack Huston s'est logiquement encastré dans le mur, avec un humiliant 94 millions $ en fin de carrière en salle. Confier la réalisation d'un tel film au réalisateur d'Abraham Lincoln, chasseur de vampires, c'était quand même tendre le bâton pour se faire battre et se lancer dans une entreprise suicidaire...

    Du Sword & Sandals à l'Heroic Fantasy

    Mais il y a un autre élément d'explication, qui tient en un nom : Peter Jackson. Avec l'immense succès de sa fabuleuse saga du Seigneur des Anneaux, le public s'est détourné du Sword & Sandals pour lui préférer le Sword & Sorcery et l'Heroic Fantasy. Grandement aidé, il est vrai, par un extraordinaire sens de la mise en scène chez Jackson, et par les effets spéciaux incroyables réalisés par la société WETA.

    Sans Le Seigneur des Anneaux, il n'y aurait jamais eu Game of Thrones. Et la quantité d'autres productions de films et séries TV creusant le sillon. Ce n'est du reste pas un hasard si Amazon a mis un milliard de dollars sur la table pour produire sa propre série basée sur l'univers créé par J.R.R. Tolkien.

    Le résultat de tout ceci est que l'ascension du genre Fantasy et les progrès technologiques continus largement usités dans les films de super-héros, ont vu le genre du Péplum être de plus en plus évincé d’un marché saturé de blockbusters aux enveloppes de productions colossales.

    Incapable de capter l’imagination du public de la même manière que par le passé, le genre semble daté. D'autant que, aux Etats-Unis, règne la confusion des genres. "Dans l'imaginaire américain contemporain, l'Antiquité est floue, plus proche de l'heroic fantasy fantasmée", expliquait l'historien du cinéma Laurent Aknin.

    Paramount Pictures Germany

    Résurrection 2.0

    24 ans après Gladiator, Ridley Scott remet donc le couvert avec une suite. Etrange sentiment de revivre peu ou prou un même cycle. Le cinéaste, échaudé par une série de très douloureux échecs commerciaux (House of Gucci, Le Dernier duel, Napoléon) aux budgets pharaoniques, tente de se remettre à nouveau en selle. Les premiers retours concernant ce Gladiator II sont plutôt bons.

    Scott va-t-il retrouver sa bonne fortune grâce à lui ? "C'est le meilleur film que j'ai fait !" lâchait-il il y a quelques temps, apparemment très sûr de lui. Et il va effectivement falloir qu'il marche, au regard de son budget qui a sévèrement enflé pour atteindre 310 millions de dollars. Verdict le 13 novembre prochain... En route vers une nouvelle résurrection du Péplum ? Ou une nouvelle oraison funèbre.

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