"Son objectif était de repousser les limites" : il y a 57 ans, les spectateurs étaient émerveillés par cette scène mythique de l'Histoire du cinéma
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Chef-d'oeuvre qui révolutionnera le cinéma, offrant des images jamais vues jusqu'alors, "2001 : l'odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick est aussi resté fameux pour son impressionnante séquence dite "Stargate". Comment ont-ils fait pour la créer ?

Sans lui, Stanley Kubrick n'aurait sans doute jamais pu concrétiser la vision qu'il portait pour 2001 : l'odyssée de l'espace. Une oeuvre entrée au Panthéon du 7e art, notamment grâce à ses effets visuels, révolutionnaires et jamais vus jusqu'alors.

"Lui", c'est Douglas Trumbull, légende vivante des effets visuels, qui nous a hélas quitté en 2022. Inventeur de génie, on lui doit la direction des effets visuels de chefs-d'oeuvre de la SF comme Rencontre du 3e type de Steven Spielberg, ceux de Star Trek ou encore ceux de Blade Runner. Trois films qui lui valurent à chaque fois une citation à l'Oscar.

Il fut aussi réalisateur d'un film de SF devenu un petit classique dans son genre, Silent Running, et réalisateur malheureux du film maudit Brainstorm en 1983, qui sera endeuillé par le tragique décès de son actrice principale, Natalie Wood.

Echaudé et bridé par l'industrie Hollywoodienne, Douglas Trumbull est alors parti s'installer dans le Massachusetts, pour travailler notamment sur la conception de nouvelles caméras, très supérieures d'ailleurs à celles employées par Peter Jackson sur The Hobbit ou par James Cameron.

Une des scènes les plus imaginatives jamais vues

Âgé d'à peine 23 ans, Douglas Trumbull créera pour Kubrick une des scènes les plus marquantes de l'Histoire du cinéma. La fameuse séquence dite "Stargate", à l'aide d'un procédé baptisé Slit Scan, qui influencera toute une génération de cinéastes, jusqu'à Coralie Fargeat pour son film The Substance d'ailleurs.

Dans le tout dernier tiers du film, seul le Dr. David Bowman (Keir Dullea) survit. L'IA meurtrière du vaisseau a éliminé ses coéquipiers. HAL 9000 désormais détruit, Bowman est seul. Sans motif clair, il abandonne son vaisseau. Alors qu'il s'aventure dans l'inconnu, les planètes s'alignent littéralement. Le vide étoilé qui s'étend devant lui éclate en une sorte de kaléidoscope de couleurs.

Il est alors propulsé à travers un tunnel illuminé, se distordant à travers le temps et l'espace. À mesure que les lumières accélèrent, l'émerveillement stupéfait de Bowman se transforme en une véritable terreur. Et de renaître, in fine, sous la forme de foetus astral... Une séquence cryptique à souhait que n'aurait pas renié, des années plus tard, un certain David Lynch...

Revoici la célèbre séquence...

Les coulisses de la création d'une séquence culte

En 2016, nous avions eu l'immense plaisir de longuement nous entretenir avec Douglas Trumbull, qui avait évoqué avec nous les coulisses de la création de cette séquence mythique.

"L'idée originale du Slit Scan vient d'un homme nommé John Whitney. C'était un artiste photographe et réalisateur, qui avait créé des représentations presque abstraites de lumières et de formes mouvantes. Et il avait travaillé sur des techniques similaires sur l'animation avec une caméra".

Voici d'ailleurs un aperçu de son travail, réalisé en 1961 :

"L'idée était qu'il avait motorisé ce qui produisait le mouvement des artworks rétro-éclairés, et des motifs variés, des motifs moirés et d'autres choses de ce type. Pendant que ca bougeait, l'obturateur était ouvert. Ca permettait de créer un effet de flou contrôlé et de pure lumière. [...]

Donc lorsque le challenge de la création de la séquence Stargate est venu, -et je ne devais originellement pas y prendre part-, les productions designers Anthony Masters et le chef opérateur Geoffrey Unsworth ont essayé de trouver des moyens de représenter cette séquence, qui était d'ailleurs originellement située sur une des lunes de Jupiter.

A la base, c'était comme un trou à travers la Lune; on regardait à travers et on voyait un autre univers de l'autre côté. Ca, c'est ce qui était dans le script. Ils ont fait des tests avec des miroirs tournants, et toutes sortes de jeux de lumières très 60's. Mais rien ne fonctionnait.

Et un jour, je me suis souvenu de cette invention de John Whitney, qui consistait à ouvrir l'obturateur pendant que quelque chose bouge. J'ai alors fixé une caméra sur un rail placé devant un panneau animé. La caméra pouvait aller et venir très près du panneau comportant les artworks, et j'ai intercalé entre les deux le panneau avec la fente, situé à l'extérieur de la caméra, pendant qu'ils bougeaient le panneau des artworks derrière la fente. La caméra bougeait, j'ai laissé l'obturateur ouvert durant un temps d'exposition d'environ 1min. J'étais si excité que ca fonctionne et que le rendu soit si bon !"

MGM

"Il savait que son objectif était de repousser les limites"

Euphorique, Douglas Trumbull s'est alors empressé de faire part de sa création auprès du cinéaste. "j'ai fait une photo avec un Polaroid, et à cette époque, les couleurs ne tenaient pas bien sans fixateur. La photo de mon expérience était encore humide lorsque je l'ai montrée à Stanley. Je lui ai expliqué comment j'avais fait, et il aimé l'idée. "Comment fait-on ?" m'a-t-il demandé. Je lui ai répondu qu'il fallait que je construise cette grosse machine, la Slit Scan Machine. "Quoi qu'il te faille, fais-le rapidement !"

Kubrick était tellement désireux de tenter sa chance, de prendre des risques, et des faire des expériences comme celle-ci, ce qui était tout à fait inhabituel à cette époque ! Mais il savait que son objectif était de repousser les limites; faire et créer des images jamais vues jusqu'alors".

Pari réussi au-delà de leurs espérances les plus folles, que la pellicule s'est chargé de fixer à jamais pour la postérité.

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