
Lors de ses deux précédents passages au Festival de Cannes (effectués la même année, en 2006), Richard Linklater s'était penché sur le présent (Fast Food Nation, en Compétition) et le futur (A Scanner Darkly, à Un Certain Regard). Aujourd'hui, l'auteur de Boyhood passe le troisième en se tournant vers le passé. Mais pas n'importe lequel : celui du cinéma français, à jamais bouleversé par la Nouvelle Vague et ses têtes de file que furent Jean-Luc Godard, François Truffaut, Alain Resnais ou encore Eric Rohmer.
Autant de réalisateurs que l'on retrouve dans Nouvelle Vague, le film, qui ne se présente pas tant comme un cours d'Histoire sur la naissance du mouvement qui a sorti le cinéma français du statisme pointé du doigt par les futurs révolutionnaires, mais une comédie qui revient sur le tournage pour le moins compliqué d'A bout de souffle, l'un de ses titres les plus emblématiques aux côtés des 400 coups.

C'est d'ailleurs sur le succès du film de François Truffaut que s'ouvre celui de Richard Linklater. Et au Festival de Cannes, où le long métrage avait reçu le Prix de la Mise en Scène, ce qui créé une mise en abyme pour qui l'aura découvert sur la Croisette, en même temps qu'une manière de boucler la boucle, avec beaucoup d'humour et une élégance qui n'a d'égal que celle de sa photgraphie en noir et blanc.
Car Nouvelle Vague est fait "à la manière de", comme si Jean-Luc Godard ou l'un des ses collaborateurs avait signé un making-of d'A bout de souffle dans le style de l'époque. Quelle est alors la différence avec Le Redoutable, biopic humoristique de Michel Hazanavicius également passé par Cannes et en Compétition en 2017 ? La couleur déjà (ou son absence ici). Et le ton.
Centré sur un autre période de la carrière du réalisateur de Pierrot le Fou, le film porté par Louis Garrel jouait la carte du pastiche et de l'humour post-moderne, en faisant des codes godardiens des sources de gags et clins-d'oeil. Ici, l'humour repose davantage sur les situations et le caractère de Jean-Luc Godard, qui nous doit quelques jolies punchlines.
Capturer l'essence de Jean-Luc Godard
Interprété par Guillaume Marbeck, ce dernier incarne bien l'ambition de Nouvelle Vague côté casting, car Richard Linklater recherche moins la ressemblance physique parfaite que capturer l'essence des personnages. Certes, les Jean Seberg, Jean-Paul Belmondo ou François Truffaut respectivement joués par Zoey Deutch, Aubry Dullin (et pas Victor Belmondo qui aurait été un choix facile) ou Adrien Rouyard font illusion à l'image, le principal n'est pas là pour le metteur en scène.
A plusieurs reprises dans sa carrière, Richard Linklater s'est attaché à (re)créer une époque, et il n'est donc pas étonnant de le voir donner dans le film historique. Avec un récit en forme de lettre d'amour au cinéma et à des auteurs qui ont sans aucun doute eu une influence sur ce touche-à-tout qui aime passer d'un genre à l'autre et faire preuve de liberté, comme un certain Jean-Luc Godard avant lui.
Si nous connaissons la fin par avance, Nouvelle Vague nous rappelle à quel point l'entreprise paraissait vouée à l'échec avant de changer l'Histoire du Cinéma, et son évocation du génie de Godard se fait sans occulter sa dureté envers Jean Seberg ou sa trop grande confiance en lui qui lui donne des airs prétentieux et crée des tensions avec son équipe. Le long métrage évite ainsi l'écueil de l'hagiographie mais célèbre un monument dont l'influence dans le cinéma français se fait encore ressentir aujourd'hui.
Le tout dans la langue de Molière, avec un humour qui a enchanté la salle dans laquelle nous l'avons découvert, toute heureuse de profiter de cette bulle de légèreté aux images carrées, la recréation parfois troublante de certaines scènes iconiques d'A bout de souffle (mais pas sa plus célèbre réplique) et sans tomber dans l'habituel diaporama montrant le visage des vrais protagonistes de l'histoire dans le générique de fin.
Si les comédies ne sont pas toujours bien vues lorsqu'elles participent à la Compétition cannoise (pour une raison qui nous échappe totalement), celle-ci nous a fait rire à plus d'une reprise, en nous faisant remonter le temps aux côtés d'un casting parfait. Et on espère que le jury de Juliette Binoche y sera aussi réceptif, histoire de lui faire une jolie place dans le palmarès (avec un Prix d'Interprétation ?), en attendant sa sortie dans les cinémas français le 8 octobre prochain.