Mon compte
    Patrick Dewaere, un destin tragique pour l'acteur écorché du cinéma français
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Il y a 40 ans, le 16 juillet 1982, disparaissait tragiquement Patrick Dewaere, qui mettait fin à ses jours à 35 ans. Un acteur d'un genre nouveau d'une modernité insolente, aussi génial et solaire qu'en proie à de perpétuels doutes sur son talent.

    "Tu te vois en vieil acteur, à quoi tu ressembleras ?" demande un journaliste à Patrick Dewaere, durant le Festival de Cannes de mai 1979, répondant pour l'émission Ciné regards. "Moi ? Je ne serai jamais vieux. On devient vieux à partir du moment où l'on a peur du lendemain" lâche l'acteur.

    "Tu as des rêves de Grand Prix d'interprétation ou tu t'en fous complètement ?"Moi, je, euh... De toute façon, j'ai raté tous mes examens, [...] je n'ai jamais été choisi par un Jury ! Cela dit, j'ai envie d'avoir un prix d'interprétation, parce que je suis français, et je représente la France !"

    Sous un petit rire, les blessures sont là. On pourrait même dire que tout Patrick Dewaere est presque résumé dans cet échange. Un acteur immense, solaire, insolent, d'un genre nouveau, venu du Café de la Gare auquel il restera attaché jusqu'à la fin, qui propulsa le cinéma français dans une formidable modernité post-soixante-huitarde. Un génie très tourmenté aussi, dévoré par des démons intérieurs que la consommation de drogue ne fera qu'aggraver, qui le feront perpétuellement douter de son talent.

    Le 16 juillet 1982, le comédien mettra fin à ses jours, à l'âge de 35 ans, à son domicile parisien situé dans le 14e arrondissement. Quarante ans après sa tragique disparition, son pouvoir de fascination auprès des amoureux du cinéma reste intact.

    Les blessures intimes de l'enfance

    Né au sein d'une famille d'artistes organisée autour de la matriarche Mado Maurin, Patrick est un véritable enfant de la balle, et montera même sur les planches du Théâtre de Chaillot dès l'âge de trois ans dans une pièce où joue sa mère.

    Acteur précoce, il est alors âgé de quatre ans lorsqu'il fait sa première apparition au cinéma dans Monsieur Fabre d'Henri Diamant-Berger en 1951. Préférant les planches de théâtre aux bancs de l'école, il intègre ensuite la compagnie de Jacques Fabbri en 1956. Sa carrière est alors ponctuée de petits rôles mineurs au cinéma (La Madelon 1955; Je reviendrai à Kandara 1956; Les Espions d'Henri George Clouzot en 1957), et Patrick, déjà, se sent moins doué que ses frères.

    C'est à l'adolescence que naissent ses premiers traumatismes. À 17 ans, il apprend que Pierre-Marie Bourdeaux, baryton de profession, n'est pas son père biologique. Ce serait un certain Michel Têtard, chef d'orchestre. Il tenta d'ailleurs de le rechercher, des années plus tard, avec sa première épouse, la comédienne - réalisatrice Sotha, pilier du Café de la Gare, avant d'abandonner sa quête.

    L.C.J. Editions et Productions

    "Il avait du mal avec la vie, mais sur un plateau, il était impeccable, épatant. Il avait du mal à gérer sa vie privée, à vivre. Il n'avait pas eu les armes dans son enfance qui lui auraient permis d'être un peu plus fort. Il était souvent diminué dans certaines situations, notamment avec les femmes. C'était catastrophique" * raconte Bertrand Blier, qui dirigea le comédien à trois reprises.

    "Patrick était comme un frère, on avait six mois de différence" * se souvient Patrick Bouchitey, compagnon de route de Dewaere dans les années 70, avec qui il tourna le formidable film La Meilleure façon de marcher, sorti deux après le triomphe en salle des Valseuses.

    "On est descendu une fois à Royan, dans la maison où il passait son enfance. Ses souvenirs sont remontés. Il s'est confié à moi au sujet de son enfance. Il était en rupture par rapport à sa famille. À part son frère Dominique [NDR : Dominique Collignon-Maurin, qui sera une référence du doublage en France] avec qui il avait deux ans de différence, il ne voyait pas ses autres frères.

    Son enfance, c'était la source de sa fragilité affective. C'est une des raisons pour laquelle il a voulu changer de nom de famille par la suite... Je me souviens qu'il disait souvent : "Quand ça va mal, tu le gardes pour toi, tu ne le montres pas".

    Toi et Gérard, vous êtes des bons, moi, je suis qu'un pauvre gars, totalement nul, je ne gagnerai jamais rien...

    S'il se raconte que Patrick aurait été dépossédé par sa mère de la plupart des cachets qu'il avait gagnés au tout début de sa jeune carrière, il aurait aussi été abusé sexuellement, comme l'écrira Gérard Depardieu dans son livre Vivant ! publié en 2004 :

    "Je crois que, dans son enfance, il avait été victime d'actes de pédophilie. Il m'en avait parlé mais je ne sais pas si j'ai le droit de raconter ça. Ce que je sais, c'est que sa fragilité venait de là. Cette enfance qui ne passait pas, c'était son abîme, son gouffre intérieur".

    Deux ans plus tôt, Elisabeth Malvina Chalier, dite "Elsa", mariée avec Patrick Dewaere en 1980 et mère de Lola Dewaere, ne dira pas autre chose dans une interview accordée au magazine Première.

    La fin d'un couple passionnel

    Si Patrick rencontra Coluche au Café de la Gare, avec qui il se liera d'une grande amitié, il y fit aussi la connaissance de Miou-Miou, qui fut le grand amour de sa vie, et mère de sa première fille, Angèle Herry. Les deux étaient déjà ensemble au moment où Blier les engagea pour le tournage des Valseuses. Mais la comédienne quitta Patrick en 1975 pour tomber dans les bras du chanteur Julien Clerc, qui adoptera Angèle en 1992, à sa majorité.

    Une séparation qui va profondément tourmenter le comédien. La douleur sera d'autant plus vive qu'en 1976, Dewaere retrouve Miou-Miou sur le film F...comme Fairbanks, sous la direction de Maurice Dugowson, qui ignore que le couple s'est déjà séparé. Le récit, qui retrace les étapes d'une vie amoureuse autant que la descente aux enfers d'un ingénieur incapable de retrouver du travail, donne un douloureux écho à sa vie sentimentale.

    Cette séparation "a été le début de sa descente aux enfers" racontera Lola Dewaere; "à partir de là, mon père est devenu violent, impulsif, invivable". Une période noire et paradoxale, dans laquelle la consommation de drogue, dès 1976, coïncide aussi avec d'extraordinaires compositions de l'acteur à l'écran, à la fin des années 70 : Coup de tête, Un mauvais fils, Série noire, Beau-père...

    L'emprise de la drogue et sous-estime de soi

    "On a beaucoup parlé de Patrick et de la drogue, mais je ne pense pas qu'il en ai pris énormément. Il prenait de tout, même de l'héroïne, mais ce n'était pas un junkie, sa toxicomanie a été beaucoup exagérée" commente Bertrand Blier. "À l’époque, dans les années 70, tout le monde se droguait, prenait de la cocaïne. Sauf Alain Delon peut-être..." *

    Il n'empêche que si le comédien est capable de faire montre d'un engagement sans faille ou presque sur ses rôles, sa consommation de drogue déclenche chez lui des comportements violents et erratiques sur les tournages.

    Sur le tournage du Juge Fayard dit le Shériff, il manque de se battre avec son réalisateur, Yves Boisset. Sobre sur le tournage de Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, l'acteur replonge dans la drogue une semaine avant la fin du tournage...

    En revoici d'ailleurs la bande-annonce..

    "Une anecdote m'a beaucoup ému. Je tournais une scène de nuit à la gare de Meaux" raconte le cinéaste. "Mon accessoiriste vient lui apporter sa valise. Patrick ne lui dit rien et la place sous la banquette sur laquelle il est allongé.

    Mon accessoiriste lui explique : "Non, Patrick, quand on est dans une gare la nuit, on ne met pas sa valise sous une banquette, mais plutôt sous sa tête pour plus de sécurité. Est-ce que ça te gêne que je te soulève la tête pour glisser la valise dessous ?" Patrick ne répond pas. L'accessoiriste lui prend délicatement la tête.

    À cet instant-là, j'étais tout près de la scène, à côté de la caméra. Patrick bondit alors d'un seul coup, et lui balance un coup de poing dans la figure. C'est la seule fois de ma vie où j'ai vu quatre dents tomber par terre dans un bain de sang.

    Patrick n'a pas voulu s'excuser, ce qui a tout logiquement déclenché une grève de mon équipe qui a duré jusqu'à 2h du matin, quand il a fini par plus ou moins s'excuser. Comme mon équipe était soudée et chaleureuse, elle a compris qu'il n'était plus dans l'état qui avait été le sien pendant le tournage, et a repris le travail". *

    Sur Série noire d'Alain Corneau, Dewaere campe Frank Poupart, roi de la lose et écorché vif. Une métamorphose saisissante, pour ne pas dire très inquiétante, où l'acteur n'hésite pas à puiser dans ses souffrances les plus profondes pour donner vie à ce personnage, au point de confondre de manière permanente réalité et fiction. Blessé de ne recevoir aucun prix, ni à Cannes ni aux César, le comédien verra ce rôle lui coller à la peau et nourrir un peu plus la triste légende.

    Tamasa Distribution

    Un sentiment tenace d'être mal aimé de la profession. "La seule récompense qu'il a eue, c'est l'Etoile de cristal pour La Meilleure façon de marcher. Il le voulait, le César. Ca le rendait malade. Pourtant, les événements mondains le faisaient chier, mais il y allait quand même" se souvient Sotha, la première épouse de l'acteur. "Le côté star, il essayait de s'y maintenir, mais je pense que ça lui pesait beaucoup, de vouloir l'être et de ne pas aimer ça". *

    Là aussi, une anecdote qui en dit long, terrible, racontée par Jean-Jacques Annaud, qui a revu l'acteur pour la dernière fois en février 1982. "C'était le soir des César, nous étions au Fouquet's, dans un coin du bar. Patrick avait été nommé pour le César du Meilleur acteur [Pour Un Mauvais fils]. Pour ma part je venais de remporter deux César pour La Guerre du feu, et Gérard Depardieu, qui était avec nous, l'avait obtenu en 1981 pour son rôle dans Le Dernier métro.

    Patrick se lamentait, disant qu'il était nul. Gérard, pour rigoler, lui disait : "évidemment que t'es un nul, t'es un con !" Et Patrick, très sérieux, acquiesçait. Finalement, il s'est effondré sur moi et s'est mis à pleurer sur le col de ma chemise blanche. [...] Il sanglotait en me disant : "Toi et Gérard, vous êtes des bons, moi, je suis qu'un pauvre gars, totalement nul, je ne gagnerai jamais rien..." Il ne s'arrêtait pas, les sanglots étaient puissants, incontrôlables". *

    Un journaliste passé à tabac

    En octobre 1980, dans le train qui le ramène de Bruxelles, Patrick Dewaere sympathise avec un journaliste du nom de Patrice de Nussac, critique au Journal du dimanche, et lui accorde une interview. En off, il lui confie qu'il va prochainement se marier avec Elsa, mais lui demande de ne pas publier cette information. L'article est publié en Une sous le titre" : "Le fou d'Elsa".

    "Patrick s'en foutait un peu, mais quand il s'est réveillé le lendemain matin, deux mecs, des "copains" dealers, et Elsa [NDR : très accro à la drogue elle aussi] sont arrivés et l'ont convaincu d'aller régler ses comptes avec le journaliste" témoigne Sotha. "C'est vraiment ses copains qui l'ont convaincu d'aller lui casser la gueule, mais je ne l'ai jamais vu être violent. Après, peut-être que la drogue a pu révéler certaines facettes de lui". *

    Le journaliste rossé écopera de dix jours d'incapacité temporaire de travail (ITT). L'affaire n'en restera évidemment pas là : Dewaere se met à dos toute la profession, alors qu'il est justement en pleine promotion du film Un mauvais fils de Claude Sautet.

    "Il s'agit d'un acte qu'on peut considérer comme scandaleux contre notre corporation" s'offusque en direct Daniel Bilalian, le présentateur du journal télévisé d'Antenne 2. Prenant fait et cause pour de Nussac, les médias décident de boycotter le comédien : il n'est plus interviewé, son nom est remplacé par ses initiales voire retiré des articles...

    Revoici la séquence du JT et le reportage sur le sujet...

    Les conséquences du scandale sont considérables. En plus de verser 75 000 francs au journaliste après un accord à l'amiable, la justice le condamne à un an d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende.

    En outre, ses relations avec les cinéastes et les producteurs se dégradent, certains hésitent à lui donner encore des rôles. Un journaliste publie un article sur une violente altercation entre le comédien et Claude Sautet dont il est témoin, ce qui a pour effet de renforcer sa réputation de déprimé et d'accro aux drogues. Pris pour cible par les médias et le cinéma, Patrick Dewaere est profondément affecté par cet épisode.

    Fin 1980, il participe à l'émission Le Tribunal des flagrants délires sur France Inter dans laquelle il subit un procès humoristique et confesse : "Je reconnais que j'aurais pas dû taper dessus. J'aurais dû juste… le disputer." Non sans ajouter, avec aussi ce goût de la provocation : "Je crois que plus on est abîmé, plus on est beau, plus on ressemble à son époque".

    Le crépuscule

    "J'en ai marre. Je vais me suicider. Je ne joue que des rôles de merde dans des films de merde" lâcha Patrick Dewaere à son ex-femme Sotha. Il trouve quand même l'énergie de se lancer dans un intense travail de préparation physique pour un prochain film mis en scène par Claude Lelouch : Edith et Marcel.

    En Juillet 1982, il est clean. Sa femme Elsa est restée avec leur fille Lola en Guadeloupe, chez Coluche, où ils étaient partis pour plusieurs semaines de vacances. Patrick a le champ libre pour se donner corps et âme dans la préparation de son rôle de Marcel Cerdan. Il retrouve ainsi tous les jours son sparring partner Charles Gérard à l'Avia Club pour s'entraîner. Et, de l'aveu de son entourage, il est non seulement clean, mais aussi sobre : il ne carbure qu'à l'eau.

    Le 16 juillet, après une session de photos au Bois de Boulogne avec sa future partenaire à l'écran Evelyne Bouix, qui doit incarner Edith Piaf, il déjeune avec Lelouch à son QG des Films 13, situé avenue Hoche. "Et puis il y a un coup de téléphone pendant le déjeuner qui a tout fait basculer. A un moment, il est venu vers moi et il m'a dit : 'Ecoute j'ai une petite urgence'" se souvient le cinéaste, qui racontait encore en mai dernier les ultimes moments où il a vu son acteur. 

    Patrick donne quand même rendez-vous au réalisateur à cinq heures du soir à la salle de boxe. "On devait faire le championnat du monde de Cerdan contre Tony Zale. Il avait répété, il était prêt" poursuit-il. Les versions divergent quant à la teneur de ce coup de fil fatidique.

    Certains disent qu'il s'agissait de sa femme Elsa, qui lui annonçait qu'elle restait en Guadeloupe et même qu'elle le quittait pour Coluche. D'autres avancent l'idée que c'était sa mère, Mado Maurin, qui lui annonçait ce que sa femme s'apprêtait à faire. Au bout du compte, peu importe les spéculations. Le fait est que Patrick Dewaere est parti de ce déjeuner très troublé.

    Arrivé chez lui, Dewaere aurait tenté de joindre un dealer au téléphone, en vain. Vers 15h, il monte au premier étage de son appartement, s'enferme dans sa salle de bain, et se tire une balle dans la tête. Dans une atroce ironie, il se serait tué avec le fusil que lui aurait offert Coluche.

    Editions du Square

    "On avait remis le prix "Bête et méchant" à Coluche en décembre 1978. On lui avait offert un fusil de chasse "pour tuer les cons" écrivait le professeur Choron, pilier fondateur de Hara-Kiri, dans "Vous me croirez si vous voulez - Mémoires de guerre et d'humour", publié chez Flammarion en 1993. "Coluche, ça le faisait chier d'avoir un fusil chez lui. Il avait dit à son copain Dewaere : "Prends le fusil. J'en veux plus à la baraque. Et c'est avec le fusil offert par Hara-Kiri que Dewaere se serait flingué !"

    Hommage posthume

    Six ans après sa disparition, Gérard Depardieu lui adressera cette lettre posthume, glissée dans un recueil, "Lettres volées" (Ed. J.-C. Lattès). "Comme Romy Schneider, tu confondais ta vie et le métier d'acteur. Tu supportais mal les duretés de ce milieu. Tu étais sensible, sans défense, presque infirme devant le monde. Je te voyais venir avec toutes ces mythologies bidons autour du cinéma, de James Dean ; cela te plaisait, ce romantisme noir et buté.

    Tu la trouvais belle la mort, bien garce, offerte. Il fallait que tu exploses, que tu te désintègres. Tu «speedais» la vie. Tu allais à une autre vitesse, avec une autre tension. Ce n'est pas tellement que tu n'avais plus envie de vivre, mais tu souffrais trop, de vivre.

    Chaque jour, tu ressassais les mêmes merdes, les mêmes horreurs dans ton crâne. À la fin, forcément, tu deviens fou. Dans Série Noire, tu te précipitais contre le pare-brise de ta voiture. J'ai toujours mal en repensant à cette scène. J'ai l'impression d'un film testamentaire.

    Tu te débats, tu te cognes contre tous les murs. Il y avait l'agressivité désespérée, l'hystérie rebelle de Série Noire. Il y avait aussi la résignation accablée du Mauvais Fils. Ces deux films, c'est toi". Clap de fin, fondu au noir. So long l'artiste...

    Sauf mention contraire, les citations suivies de "*" sont extraites du Mook Schnock n°42 consacré (entre-autre) à Patrick Dewaere. Vous pouvez retrouver la collection ici.

    Notre podcast consacré à Patrick Dewaere..

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top