Zone libre : les secrets du tournage

Zone libre est le premier long métrage de cinéma réalisé par l'acteur Christophe Malavoy, connu pour ses rôles chez Michel Deville (Péril en la demeure), Claude Chabrol (Le Cri du hibou) ou Régis Wargnier (La Femme de ma vie). Mais il avait déjà réalisé deux téléfilms pour Arte, qui étaient déjà des adaptations littéraires : La Ville dont le prince est un enfant d'après l'oeuvre de Montherlant en 1997, et Ceux qui aiment ne meurent jamais (2004), d'après... son propre roman, Parmi tant d'autres, inspiré de la vie de son grand-père.

Christophe Malavoy évoque les deux raisons qui lui ont donné envie de réaliser ce film : "[Jean-Claude Grumberg] est pour moi l'un de nos meilleurs auteurs dramatiques (...) une plume dans la grande tradition des Charles Spaak, Jacques Prévert, Henri Jeanson, Marcel Pagnol... Les dialogues de Zone Libre ont cette humanité, cette chair, cette vérité et cette poésie qui sont la marque des grands auteurs. La grande force de Grumberg, c'est de faire rire au milieu du drame, sans jamais chercher l'effet, avec le seul souci d'être juste et vrai. Il ne cherche pas à vanter ses personnages mais simplement à faire vivre à la fois leur courage et leur lâcheté, leur aveuglement et leur clairvoyance. En premier lieu, ce sont donc les mots de Grumberg qui m'ont poussé dans cette aventure. La deuxième raison, c'est l'histoire elle-même. Simple, populaire, magnifique. Je voulais faire un film sur le courage et la justice et rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, dans l'ombre, ont oeuvré pour la liberté, ont sauvé des vies, non pas au nom d'un parti ou d'une croyance quelconque, mais qui l'ont fait comme on fait les moissons, avec cette humanité indescriptible qui font que les hommes font des choses parce qu'elles doivent être faites. Un film qui rend hommage au monde rural, avec sa dureté mais aussi sa noblesse."

La première comédienne contactée par Christophe Malavoy fut Mathilde Seigner. "Elle a lu tout de suite et m'a dit oui avec une sincérité et un élan que je n'oublierai pas", confie-t-il. A propos de Jean-Paul Roussillon, il note : "On m'a proposé des acteurs commercialement plus connus, mais je savais que les autres auraient "joué" le paysan tandis que Jean-Paul l'incarnerait. C'est un acteur qui est au-delà du jeu, sa présence est magnifique, c'est la famille des Harry Baur, des Michel Simon. Concernant le choix des autres comédiens, Malavoy précise : "(...) je tenais à ce que les acteurs qui composeraient cette famille soient issus de la culture juive. On parle toujours mieux de ce que l'on connaît. Tsilla Chelton est une actrice hors norme (...) Elle réalise une prouesse dans le film, jouer tout son rôle en yiddish, langue qu'elle ne parlait pas deux mois avant de tourner."

Zone libre est l'adaptation d'une pièce de théâtre de Jean-Claude Grumberg, un des plus célèbres dramaturges français contemporains. Né en 1939, fils d'un tailleur mort en déportation, il commence par exercer la profession de son père, avant de se tourner vers le théâtre, comme acteur puis comme auteur. En 1974, il publie Dreyfus, Prix du Syndicat de la Critique et premier volet d'une trilogie autour de la France de l'Occupation -suivront L'Atelier, sans doute sa pièce la plus fameuse, montée avec succès par Gildas Bourdet en 1998, et Zone libre. Grumberg écrit aussi pour le cinéma. Codialoguiste du Dernier métro de Truffaut, il est surtout depuis les années 90 le fidèle complice de Costa-Gavras (Amen, Le Couperet).

Bien qu'il s'agisse d'une adaptation littéraire, Zone libre est pour Christophe Malavoy une oeuvre très personnelle. D'une part, sa famille s'est illustrée pendant les deux guerres (cf secret de tournage "Un homme de combats"). D'autre part, il a choisi de situer l'action de son film en Charente, la région où il a grandi. "J'ai fait mes premiers pas à l'école (...) non loin de l'endroit où nous avons tourné", révèle-t-il, avant de noter : "J'ai même ajouté quelques dialogues en patois que l'on parlait encore beaucoup à l'époque." Et l'histoire de Zone libre (une famille juive hébergée chez un paysan) lui a rappelé un autre souvenir : sa mère a accueilli une famille bosniaque pendant deux ans lors de la guerre au début des années 90. J'ai une préférence pour les gens qui agissent plutôt que ceux qui discourent", confie l'acteur-réalisateur.

Le réalisateur revient sur le travail d'adaptation et de documentation auquel il s'est livré: "Jean-Claude Grumberg n'a pas souhaité intervenir dans l'écriture du scénario. Nous avons cependant été très proches (...) J'ai pris le parti de rompre l'unité de lieu qu'imposait l'écriture théâtrale. J'ai conservé le thème de la claustration et j'ai développé le monde rural tout autour, qui protège mais également menace. Il y a donc beaucoup de scènes qui ne sont pas dans la pièce. Adapter, c'est avoir un point de vue. J'ai beaucoup lu sur cette période et notamment des récits tirés d'ouvrages basés sur les archives communales et la mémoire collective. J'ai cherché à traiter le phénomène guerre dans un souci constant de vérité, presque de nudité. De fuir tout pathos, toute illustration pittoresque ou même tout romantisme qui accompagnent souvent les films d'époque."

Jean-Paul Roussillon reprend un rôle qu'il avait déjà interprété sur les planches. L'acteur interprétait déjà ce vieux paysan, aux côtés de Monique Mélinand, Geneviève Mnich et Jean-Claude Grumberg lui-même, dans le spectacle monté par Maurice Bénichou en 1990. Sa performance avait été saluée par un Molière du Meilleur second rôle, et la pièce avait décroché le Molière du Meilleur spectacle de la décentralisation et valu à Grumberg le Molière du Meilleur auteur.

Mathilde Seigner joue dans Zone libre le rôle de la bru de Jean-Paul Roussillon. Les deux comédiens étaient partenaires dans un film qui rendait déjà hommage au monde paysan : Une hirondelle a fait le printemps de Christian Carion.