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    Alexandre Aja a 40 ans : "J'ai toujours aimé cette démarche un peu postmoderne de citation"

    Alexandre Aja fête ses 40 ans. L'occasion de se souvenir de cette rencontre avec le réalisateur, scénariste et producteur de films de genre révélé par "Haute tension" et "La Colline a des yeux" qui travaille désormais outre-Atlantique.

    Universal Studios

    AlloCiné : Vous avez grandi dans le milieu, le cinéma c’était tout de suite une évidence ?

    Alexandre Aja : Au départ, ce qui m’intéressait, c’était l’écriture. Raconter des histoires, c’est toujours mon plus grand plaisir : ce moment où tout est possible, où il n’y a pas de restrictions budgétaires, de temps de tournage, d’acteurs – attention, j’adore les acteurs ! (rires) Parfois, le plaisir d’écrire est tel qu’on se méprend sur la qualité de ce qu’on fait, mais c’est quand même très agréable. J’ai grandi sur les plateaux (notamment sur les films de son père, Alexandre Arcady, ndlr), donc cette réalité où on peut faire des choses absolument dingues – bloquer une autoroute, un aéroport, une ville – ne m’était pas étrangère. Je me suis rendu compte qu’écrire les histoires, ce n’était pas tout, il fallait aussi les mettre en images. J’ai vraiment découvert l’image, et plus je réalise de films, plus ça m’entête. Aujourd’hui, toutes les étapes, l’écriture papier, l’écriture caméra et le montage, rythment ma vie. Je ne pourrais pas imaginer faire autre chose. Je n’ai jamais l’impression de travailler !

    Et le genre dans tout ça ?

    Le genre, c’était une évidence… Oui et non. Souvent, il y a quelque chose d’un peu péjoratif avec le mot « genre ». Ce que j’aime au cinéma, c’est l’immersion, l’absence de distance entre le spectateur et l’écran. J’aime quand on est paralysé, absorbé, incapable de manger un pop-corn, qu’on traverse le miroir et qu’on est avec les personnages, qu’on se pose les mêmes questions qu’eux. Ce genre d’expérience au sens propre, ça existe beaucoup plus dans les films de suspense, les films de peur et d’horreur, que dans le reste du cinéma, ce que je trouve dommage par ailleurs. C’est  pour moi la clé d’un film. En tant que spectateur, j’aime le cinéma quand on me raconte une histoire et que j’oublie que je suis en train de la regarder. A partir du moment où quelque chose se passe – un acteur qui joue mal, un effet raté – je ressors déçu. Le genre a été une évidence, car c’était pour moi le meilleur moyen d’explorer cette immersion, mais je la retrouve parfois dans d’autres types de cinéma, que j’espère essayer moi-même par la suite.

    Quels sont vos films de chevets ?

    Enormément de classiques. J’ai une passion absolue pour David Lean : Docteur Jivago, Lawrence d’Arabie… Et des évidences : Apocalypse Now, Le Parrain, et toujours le cinéma de Spielberg et bien sûr, Scorsese. Et du cinéma de genre : je suis un fan absolu de Shining, L’Exorciste, Rosemary’s Baby, Alien, Les Dents de la mer, qui sont pour moi des monuments.

    DR

    Il n’y a pas des films « honteux » dans tout ça ?

    Si, je suis extrêmement bon public. J’adore les comédies romantiques, les mélodrames. Je suis une madeleine au cinéma, même pour une publicité je peux pleurer. Pourquoi je suis aussi émotif au cinéma ? C’est parce que je rentre dans l’histoire. Dès que ça commence à être un peu abstrait, c’est quelque chose que je comprends, mais qui me parle moins.

    Vous avez commencé en France, avec Furia puis Haute tension. Qu’est-ce qui fait qu’après Haute tension vous décidez de partir aux Etats-Unis ?

    Haute tension, on ne l’a pas fait avec la volonté de partir. J’avais envie de faire un film qui soit un film hommage à tout le cinéma d’horreur des années 1970, Massacre à la tronçonneuse, Halloween, La Dernière maison sur la gauche… Alors on a fait ce petit film avec Cécile de France, Maïwenn et Philippe Nahon, qui a été très dur à monter. Il a plutôt bien marché en France, les critiques étaient très bonnes, ça cartonné en DVD. Surtout, le film a été en sélection officielle à Toronto, puis à Sundance, et a eu un succès énorme aux USA dans le reste du monde. Ca nous a donné, à Grégory Levasseur et moi, des possibilités. Je me suis aperçu que la peur n’a pas de langue et que finalement, pour développer cet univers, il fallait aller outre-Atlantique, où il y avait vraiment un public. J’ai rencontré à ce moment-là un de mes maîtres, Wes Craven, qui nous a donné la chance, avec Greg, de faire La Colline a des yeux. Je me suis rendu compte que ce système anglo-saxon me correspondait bien davantage que le système français, qui ne me permettait pas de faire les films que je voulais. 

    EuropaCorp Distribution

    Est-ce que vous pouvez nous parler, justement, de votre relation avec Wes Craven ?

    Wes Craven a compté énormément dans ma vie et dans mon adolescence. C’est à travers son cinéma que j’ai rencontré Greg Levasseur, mon meilleur ami avec qui je travaille depuis. Ce sont mes premières peurs, avec Les Griffes de la nuit. Quand on est arrivés à Los Angeles en 2003, le premier rendez-vous… (il hésite) Enfin non, le premier rendez-vous, c’était Stallone, c’était un moment extrêmement étrange, on croyait même que c’était une blague ! (rires) Mais après, c’était Wes Craven. Rencontrer Wes Craven était un rêve absolu. Le rendez-vous s’est très bien passé, il a adoré Haute tension. Il nous a fait confiance, nous a donné La Colline a des yeux. Evidemment, on a eu pas mal de discordes pendant le tournage, mais au bout du compte il était très heureux du film, qui a été un énorme succès. On lui doit énormément. Aujourd’hui, je sais que la liberté artistique que j’ai aux Etats-Unis vient de cette chance qu’il m’a donné de faire ce film. 

    DR

    On sent dans vos films que vous êtes très souvent dans l’hommage, dans la référence, parfois même la nostalgie…

    J’ai toujours aimé cette démarche un peu postmoderne de citation. J’adore Tarantino : prendre un peu tout ce qu’il aime et le ressortir, il le fait formidablement bien. Le mot « nostalgie » est très important. Quand on fait Haute tension, c’est un hommage, presque un remerciement à tout le cinéma qui nous a inspirés. Pourtant, c’est un film qui n’a rien à voir avec ces films-là. Par exemple, Maniac est un film qui m’a extrêmement marqué quand j’étais plus jeune et on va jusqu’à refaire la scène entière des toilettes dans Haute tension. C’est amusant, parce que quelques années plus tard, j’ai conduit le remake de Maniac et Bill Lustig m’a dit : « La raison pour laquelle je voulais que ce soit toi, c’est qu’il y avait comme une lettre d’amour ouverte adressée à Maniac dans Haute tension. » La nostalgie, je continue à la développer avec Les Chiens de paille et Délivrance, qui sont vraiment très présents dans La Colline a des yeux. Je voulais aller dans cette direction. Et ça continue avec les années 1980 et Piranha, mais avec un film comme Mirrors, cet univers de référence est moins flagrant. 

    Twentieth Century Fox France
    Twentieth Century Fox France

    Sur Horns aussi, on le sent beaucoup moins et il y a comme un basculement, une émancipation… 

    En réalité, Horns est un film encore plus bourré de références, mais elles ne sont pas cinématographiques, c’est à cela que tient la vraie différence avec tout ce qu’il y a eu avant. Ce sont des références qui sont me directement liées : la musique, les années 1990, c’est mon adolescence. Il y a énormément d’éléments de cette époque un peu grunge, musicaux, visuels. Et deux univers que j’aime énormément et que j’ai voulu faire coexister. D’un côté, l’aspect extrêmement classique de l’art romantique, la représentation des démons et de la nature, proche de Gustave Doré. De l’autre, ce caractère très rock de l’Amérique du Nord-Ouest, de Seattle… Horns est un film qui m’est extrêmement cher, c’est un roman que j’ai absolument adoré, notamment parce qu’en le lisant, j’avais l’impression que si j’avais eu le talent d’être aussi un écrivain, j’aurais écrit ce livre. Parfois, on a l’impression qu’une œuvre exprime tout ce qu’on a en soi. Il y a eu cette rencontre avec Joe Hill, il y a eu ce film. Les références étaient ailleurs, mais c’est plus encore que les autres un film de nostalgie, qui est beaucoup plus personnel.

    Universal Pictures

    C’est donc une adaptation d’un roman de Joe Hill, le fils de Stephen King. Vous avez également un rapport très fort à la littérature de Stephen King. Lequel de ses romans aimeriez-vous adapter ?

    Stephen King, c’est magnifique. Ce sont mes vraies grandes peurs, pas seulement cinématographiques, mais littéraires. C’est l’un des plus grands écrivains vivants. Je pense que plus les années vont passer, plus il va rester comme un symbole de la littérature des 20ème et 21ème siècles. Chaque fois que j’ai été approché pour des adaptations, je me suis retiré car je trouvais que les scénarios n’étaient pas à la hauteur des livres. La première fois, on n’est jamais entré en développement, mais c’était l’adaptation de Simetierre. C’est un livre tellement sublime, c’est terrifiant et le script était trop faible. La seconde, c’était une adaptation que j’aurais adoré faire, celle d’un livre exceptionnel qui est Ça. La version du scénario que j’ai lue était très loin de la qualité du livre. Une nouvelle version a été réécrite, peut-être qu’elle sera meilleure. Souvent, il y a des années de développement, d’égarement, et au bout du compte on revient à la source.

    Et dans ceux qui n’ont pas déjà été adaptés ?

    Je rêverais de faire Le Talisman, qu’il a coécrit (avec Peter Straub, ndlr). The Long Walk, Marche ou crève en français, n’est vraiment pas mal. Parmi les nouvelles, l’une de mes préférées est Les Enfants du maïs, qui a systématiquement été adaptée lamentablement au cinéma – même la première version, avec Linda Hamilton, qui vaut la peine d’être vue… La nouvelle est tellement extraordinaire, l’univers est tellement génial. C’est un titre qui mériterait d’être bien fait !

    Et votre obsession pour les mannequins, qui sont un motif qu’on retrouve dans La Colline a des yeux, Mirrors, Maniac, que vous avez écrit et produit ?

    Il y a quelque chose d’assez fascinant dans cette vie figée que représente un mannequin. Je n’ai pas de fétichisme sexuel ou quoi que ce soit avec les mannequins, mais c’est vrai qu’il y a quelque chose de plastique, le côté figé. 

    Warner Bros France

    Ce qui peut paraître paradoxal, dans le sens où le cinéma est un art du mouvement et où le mannequin, c’est l’immobilité par excellence…

    Oui, il y a cette opposition ! J’ai toujours trouvé les mannequins terrifiants pour ces raisons-là et c’est ce qui m’a le plus intéressé quand on a commencé à réfléchir à La Colline a des yeux, parce que toute cette dimension mannequins, ville-test, tests atomiques, n’existait pas dans l’original. C’est quelque chose qu’on a vraiment amené. Ça m’a toujours travaillé, ces villes artificielles qu’on crée pour les faire exploser, pour voir les effets des radiations sur les humains, alors que ce ne sont pas des humains, mais des mannequins. Un effet que j’ai exploré dans l’incendie du grand magasin dans Mirrors : j’ai eu un plaisir incroyable à créer chaque mannequin, à les brûler… Et je retrouve ces têtes et ces éléments de corps dans Maniac, qui prennent vie. C’est la folie qui leur redonne une raison d’exister. C’est un bel élément cinématographique, le mannequin, qui amène une vraie réflexion sur ce qu’on est, à quel point on est désincarné ou incarné.

    Qu’est-ce qui fait que sur un projet vous décidez de rester uniquement producteur ? Par exemple sur Maniac, à quoi tient le fait que vous lâchiez votre scénario à un autre réalisateur ?

    A l’origine, Maniac, j’avais l’impression que je l’avais déjà fait avec Haute tension. Je n’ai pas envie de me retrouver à refaire le même film, c’est très important pour moi. A l’époque, quand on a eu écrit le scénario de Maniac, il n’y avait pas encore cette idée de point de vue (le film est tourné en caméra subjective, du point de vue de Frank, ndlr). C’est arrivé au moment où le réalisateur était déjà sur le projet. Peut-être que si j’avais eu cette idée avant, je l’aurais fait moi-même. Mais j’ai quand même l’impression de partager la paternité de Maniac, j’étais très présent, sur le script, sur le tournage… Franck (Khalfoun), est quelqu’un que je connais extrêmement bien, on a vraiment travaillé à trois, avec le chef op’, Maxime Alexandre. Je ne regrette pas, Franck a fait un travail formidable, mais de tous les films que j’ai produits, Maniac est un peu à part, car il est quasiment dans ma filmographie. J'adore les tous les films que j’ai produits, mais sur les autres, j’ai vraiment plus de distance, qu’il s’agisse du premier film de Franck, 2ème sous-sol, The Door, ou Pyramide. J’étais très présent en tant que producteur, mais j’étais là pour aider un réalisateur à avoir sa vision. Maniac, on l’a fait ensemble. 

    Warner Bros France

    Vous allez adapter The Marquis, Montespan en français, qui est un roman de Jean Teulé. Pourquoi adapter ce roman en anglais ?

    C’est un film qui est extrêmement ambitieux. Montrer le vrai Paris tel que Teulé le décrit, dans toute sa décadence et sa grandeur, ça coûte énormément d’argent et c’est beaucoup plus facile de le monter à l’international. C’est la raison pour laquelle ce sera en anglais. Et je trouve le sujet assez universel pour pouvoir dépasser le cadre franco-français.

    On sort du cinéma de genre ?

    D’abord, il se trouve que la lecture du livre de Jean Teulé a été une lecture qui était quasiment au même niveau que celle de Horns, et je trouve que bizarrement je trouve les deux projets extrêmement similaires, pour plein de raisons. Quand le film sortira, les gens comprendront. C’est très genre. C’est cru, c’est sexe, c’est violent, c’est beau. C’est un mélange de genres qui me plait énormément. Pour moi, ce n’est pas du tout un film en costumes tel qu’il est fait de manière assez classique en France. C’est quelque chose de beaucoup plus extrême, de beaucoup plus irrévérencieux, presque punk.

    Est-ce qu’une nouvelle collaboration avec Daniel Radcliffe est envisageable sur ce projet ?

    J’ai vraiment envie de travailler avec Daniel, c’est quelqu’un que j’aime énormément humainement et un de mes acteurs préférés, un comédien fabuleux avec un potentiel qui va au-delà de ce que les gens imaginent. J’espère qu’on trouvera quelque chose à faire ensemble. Je ne sais pas encore, car on est encore au début du processus sur Montespan, avec les acteurs, mais je pense que pour Daniel ce sera sur un autre projet.

    Universal Pictures

    Pour finir, impossible de ne pas parler de Cobra. Vous avez travaillé avec Viktor Antonov (également concepteur artistique de jeux vidéo) sur les dessins préparatoires ?

    Entre autres. Viktor faisait partie d’un groupe d’une vingtaine de concept artists, on a eu la chance, grâce à Orange Studio, de développer un univers absolument énorme en matière de recherche visuelle.

    Vous pensez qu’on pourra voir ces dessins un jour ? Même si, par malheur, le film ne parvenait pas à se faire, bien que le projet soit pas mal avancé ?

    Le projet est très avancé. J’espère encore qu’il va se faire, malheureusement c’est vrai que Les Gardiens de la Galaxie nous ont coupé l’herbe sous le pied et ont ralenti le processus. Ce n’est pas un projet que j’abandonne encore, j’y crois vraiment. Tout à l’heure, on parlait de nostalgie, là, c’est plus que de la nostalgie, c’est ce qui m’a fait vibrer toute mon enfance, donc j’y tiens énormément. Je ne veux pas encore me mettre dans la perspective d’un très beau livre qui raconte ce que le film aurait été. Ca arrivera peut-être un jour, mais pour le moment on continue à se battre pour que ça existe.

    Peut-être que les Gardiens de la Galaxie ont pu au contraire ouvrir une voie ?

    C’est vraiment très proche, donc là on réfléchit à la façon de réinventer Cobra, un peu plus loin du Cobra d’origine, pour qu’il puisse exister par rapport à Chris Pratt… qui est quand même Cobra ! C’était malheureusement une évidence.

    La Colline a des yeux :

     

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