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    "L'un reste, l'autre part" : interview avec Claude Berri

    Allociné a rencontré Claude Berri quelques semaines avant la sortie de son film "L'un reste, l'autre part". Souvenirs et confidences du "Dernier nabab" du cinéma français.

    C'était à la fin de l'année 2004. Peu avant la sortie de L'Un reste, l'autre part, nous avions rendez-vous avec Claude Berri, dans son bureau, tout près de l'avenue des Champs-Elysées. Le film étant, par certains aspects, très inspiré de sa vie personnelle, cet entretien fut l'occasion de revenir sur son parcours, qu'il avait retracé dans Autoportrait, un ouvrage passionnant paru quelques mois plus tôt. Pendant une heure, il s'est ainsi livré avec générosité et pudeur, évoquant son premier bide au théâtre, sa complicité avec Serge Gainsbourg ou Yvan Attal ou donnant son point de vue d'expert sur la situation du cinéma français ou sur les débuts de producteur de son fils Thomas Langmann...

    AlloCiné : Dans votre livre, Autoportrait, paru en 2003, vous écriviez :

    "Tout ce que j'avais vécu dans mon enfance, dans ma jeunesse, même les moments les plus tristes, avec le recul je les trouvais drôles. J'arrivais à en rire et à faire rire. Mais le jour où ma vie a basculé, où la mère de mes enfants est tombée malade, je ne pouvais plus rigoler. Je ne trouvais plus ça drôle. Même avec le recul." Dans "L'un reste, l'autre part", vous évoquez pourtant ces épisodes douloureux.

    A une certaine époque, j'arrivais à rire de moments tristes de ma vie : l'enfant juif caché chez un vieil antisémite, avec le recul ça m'a amusé. Comme de raconter mon service militaire. J'ai écrit Autoportrait dans un moment terrible pour moi : après la mort de mon fils, j'étais complètement déprimé. Le fait d'écrire ce livre a été une sorte de thérapie. Entre le livre, l'amour, les antidépresseurs, de nouveau je me suis senti bien. Et après quelque temps, comme c'est mon métier, j'ai eu envie de penser à un film. J'ai alors eu l'idée d'écrire L'Un reste, l'autre part. Mais là, en ce qui concerne le drame avec mon fils, je ne ris pas. La partie drôle du film, c'est l'autre histoire, celle d'Alain et Fanny. Bien entendu, certaines scènes sont purement autobiographiques, mais c'est plutôt un film personnel. Ceux qui ne connaissent pas ma vie le verront comme une fiction, ce qui était mon propos.

    En cela, il se rapproche de "Je vous aime" (1980)...

    Pour ce film, je m'étais inspiré, avec son accord,de la vie de Catherine Deneuve.

    C'était personnel dans la mesure où je m'identifiais au personnage joué par Souchon, A l'époque, je cherchais à faire ma vie avec une seule femme, donc je voulais comprendre comment on faisait sa vie en plusieurs fois, comme Deneuve, qui a vécu plusieurs rencontres et plusieurs séparations. C'était une sorte de thérapie : j'étais en train de me séparer de ma femme pour cause de maladie, j'étais assez désemparé. Pour L' Un reste, l'autre part, je ne dis pas que j'étais complètement détaché mais j'avais du recul... comme si ça n'avait rien à voir avec moi. J'aurais pu jouer le rôle, quoiqu'il y ait une différence d'âge entre Charlotte Gainsbourg et moi : là on aurait appuyé sur l'autobiographie. En choisissant Daniel Auteuil, je rendais le film plus universel.

    Est-ce vrai qu'au départ, vous aviez l'intention d'en faire un livre ?

    Oui. J'ai commencé à écrire un livre, un peu dans le même style qu'Autoportrait, en racontant les humeurs du jour, ou des choses de ma vie que je n'avais pas encore racontées. Et je voulais y insérer également le scénario de L' Un reste, l'autre part. Si j'avais mené à bien ce projet, j'aurais eu un livre et un scénario. Et au bout d'un certain temps, je me suis rendu compte que ca ne marchait pas, c'était l'un ou l'autre. Et j'ai opté pour le film.

    Vous racontez souvent que vous avez été très marqué par vos séances chez une psy. La structure du film, avec deux personnages qui réagissent différemment à la même situation, renvoie d'ailleurs à la psychanalyse...

    Dans un sens, oui. L'idée de base m'est venue dans ma propre vie, quand j'ai rencontré une femme, interprétée par Charlotte dans le film. J'étais alors marié avec une femme que j'avais aimée, que j'aimais encore d'une certaine façon. J'avais un fils adolescent, et la question se posait : est-ce que je reste ou est-ce que je pars ? Après un certain temps j'ai choisi de partir, mais je me suis rendu compte que cette question était insoluble. C'est comme ça que j'ai eu l'idée de faire un film avec le recto-verso d'un même personnage. Au départ, j'avais donc ce titre, L' Un reste, l'autre part, qui résumait bien ma pensée, et une des deux histoires, celle de Daniel et Judith. L'autre, il fallait que je l'invente. J'ai eu la chance de parler avec un marchand d'art primitif pris entre sa femme, sa maîtresse et même sa belle-soeur. C'était tragique pour lui, mais plus il me racontait sa vie, plus ça me faisait rire. J'avais trouvé ma seconde histoire. Là, on était plus proche du vaudeville, même s'il y aussi un fond tragique, puisque vers la fin Alain se retrouve dans un asile psychiatrique.

    Tourner "Le Cinéma de papa" en 1970 était une manière de faire le deuil de votre père, alors que "L'un reste l'autre part" est le film d'un deuil impossible.

    Bien entendu, puisque je fais revivre Anne-Marie, la mère de mes enfants, incarnée merveilleusement par Miou-Miou. Et je fais jouer Julien [Rassam], mon fils qui est mort, par Nicolas Lebovici. Les faire vivre dans un film, c'est une façon de continuer à vivre avec eux. En fait, ce qui arrive dans le film au personnage de Julien, c'est ce que j'aurais voulu qui arrive à mon fils. Je pouvais accepter qu'il ait un accident, qu'il soit tétraplégique, mais je pensais qu'il arriverait à s'en sortir. Malheureusement, dans la réalité, ça n'a pas été le cas.

    Le fait de tourner des scènes que vous avez vécues change-t-il quelque chose dans le travail avec les comédiens ?

    Non. A aucun moment je n'ai demandé à Daniel de jouer Claude Berri ou à Charlotte de jouer Nathalie Rheims. Daniel devait prendre les situations à son compte, et imaginer quelles auraient été ses réactions. Mais il est vrai que deux séquences sont totalement autobiographiques : la rencontre entre Daniel et Judith le lendemain de l'accident du fils, et la colère de Daniel à la fin du film. Quand mon fils a appris que j'envisageais de me séparer de sa mère, ça a été terrible. Pendant plusieurs années, il m'en a voulu, et cette scène très violente entre Daniel et ce garçon de 15 ans, je l'ai vécue. Avec le temps, dans ma propre vie, mes rapports avec mon fils se sont nettement améliorés, il accepte cette séparation comme des millions d'enfants dans le monde. Mais ça a été très dur pour lui.

    Comme dans votre film précédent, "Une femme de ménage", vous racontez l'histoire d'un homme qui retrouve goût à la vie grâce à une jeune femme. Et on retrouve ces interrogations sur la vie de couple et la rupture dans "Les Sentiments" et "Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants", deux films que vous avez produits récemment....

    A partir de Je vous aime, ce thème du bonheur de la rencontre et de la souffrance de la rupture est devenu récurrent chez moi. Les Sentiments se rapproche davantage de La Femme d'à côté, mais c'est vrai : Jean-Pierre Bacri n'est pas tellement heureux dans sa vie de couple, et un jour il a cet éblouisssement sur une jeune fille. C'est un sujet universel. Et on est à une époque où les couples ne durent pas forcément toute la vie.

    Vous vous êtes entouré pour ce film de personnes qui font un peu partie de votre famille, à commencer par Charlotte Gainsbourg. Vous étiez très proche de son père...

    Oui. Il a fait la musique de Sex-shop [1972], j'ai coproduit son premier film Je t'aime, moi non plus [1975]. Il a été mon interprète dans Je vous aime, j'ai été le sien dans Stan the Flasher. Il y avait une sorte d'osmose entre nous. J'ai été surpris quand un jour, en le rencontrant rue de Verneuil, il m'a dit : "J'ai ecrit un scénario pour toi, c'est Stan the Flasher...". Quelque part, ce personnage c'était lui, et il souhaitait que ce soit moi qui l'incarne.

    Avec le compagnon de Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal, dont vous avez produit les deux films, vous avez un rapport quasi-filial...

    Oui. Disons qu'il y a une petite trentaine d'années qui nous sépare... Il a voulu que je joue son père dans son dernier film, et je l'ai fait pour lui faire plaisir. Mais je l'avais découvert dès son court métrage [I got a woman], qui annonçait Ma femme est une actrice, et dans lequel j'avais vu son talent de réalisateur. C'est moi qui lui ai dit d'en faire un long. Je considère qu'il est l'un des plus doués dans le cinéma français actuel, au niveau de la forme en tout cas.

    Vous aimez les réalisateurs qui jouent la comédie : après Catherine Breillat dans "Une femme de ménage", on retrouve cette fois Noémie Lvovsky, dont vous aviez produit "Les Sentiments"...

    Dans Une femme de ménage, je ne voyais personne d'autre qu'elle pour incarner ce personnage. Là, ça m'a amusé de faire jouer Noémie Lvovsky, elle est très drôle. Elle jouait déjà dans Ma femme est une actrice. C'est bien de faire des films avec les gens qu'on connaît bien et qu'on aime, si bien sûr ils sont les personnages. S'agissant de Noémie, j'avais vu La Vie ne me fait pas peur que j'avais adoré, et -chose que je fais très rarement– je lui avais téléphoné. Elle a été très surprise : elle était plus proche du cinéma d'auteur, et moi j'étais le producteur d'Astérix. On a sympathisé, mais pour Les Sentiments, elle a voulu être fidèle au producteur de son film précédent, Bruno Pésery. Finalement, ça s'est mal passé entre eux, et j'ai donc produit le film.

    Vous avez confié le rôle du fils tétraplégique à Nicolas, fils de Gerard Lebovici [fondateur de l'agence Artmédia, mystérieusement assassiné en 1984], un autre de vos amis...

    Nicolas je l'ai connu tout petit, il doit avoir le même âge que Julien. Un jour, il est venu me voir dans mon bureau, on a parlé pendant au moins 2 heures. Plus je l'écoutais, plus je le regardais, et plus je me disais : "Il faut que ce soit lui qui joue Julien". C'est parce qu'il est pianiste que j'ai ajouté le concert au début du film. Ainsi, la situation est encore plus dramatique puisqu'il est handicapé d'une main à la suite de l'accident. Malgré tout, comme on le voit à la fin du film, son goût de la vie l'a emporté. Il s'en sort.

    Dans la partie "comédie" du film, on retrouve votre goût pour le théâtre de boulevard. C'est d'ailleurs sur les planches que vous avez débuté...

    J'étais comédien de théâtre au départ. Et comme on le voit dans Le Cinéma de papa, mon père avait entrainé 2 ou 3 autres fourreurs pour produire une pièce de François Billetdoux, Le Comportement des époux Bradbury. C'était à la fin des années 50, j'avais environ 25 ans et cette idée d'être producteur me tarabustait. Je n'imaginais pas à l'époque que je pouvais écrire ou mettre en scène. Disons que si j'étais programmé, je ne connaissais pas le programme... Mais allez savoir pourquoi, producteur, ça me titillait. En tout cas, cette pièce de théâtre a été un four complet. Grâce à l'argent de mon père et des fourreurs, j'ai donc démarré par un bide énorme... Revenir au théâtre est un vieux fantasme, mais j'ai peur d'avoir des problèmes de mémoire, et à moins de mettre des oreillettes comme Gérard [Depardieu], je crois que ce fantasme ne verra jamais le jour...

    Pour la photo, vous avez de nouveau fait appel au chef-opérateur Eric Gautier, qui commence lui aussi à faire partie de la famille...

    C'est mon besoin d'ameliorer la forme. J'ai dit souvent que j'écrivais mieux que je ne parle, Je pense que j'écris mieux que je filme. Sur le plan de la forme, je considère que mon livre Autoportrait est reussi... et je ne suis pas le seul. A sa sortie, on ne l'a pas considéré comme une autobiographie classique, mais comme de la litterature. Depuis Une femme de ménage, j'ai noué une connivence avec Eric Gautier, comme cela s'était produit auparavant avec Bruno Nuytten, avec qui j'avais fait Tchao pantin, Jean de Florette et Manon des Sources. Au générique, je crédite d'ailleurs Eric comme collaborateur à la mise en scène. Il me permet d'améliorer la forme. Au moment du découpage, je tiens compte énormément des solutions qu'il me propose.

    Vous vouez une passion à la peinture, mais celle-ci est très peu présente dans vos films...

    Dans La Débandade , je suis commissaire-priseur, j'emmene la jeune fille voir une exposition de Michaux. Pour ce film-ci, j'ai pas été chercher tres loin, puisque la personne qui m'a raconté sa vie était marchand d'art primitif. J'ai gardé le même metier pour le personnage d'Arditi. Et pour rester dans le même milieu -puisqu'ils sont très amis, j'ai fait de Daniel Auteuil un marchand de vieux meubles des années 50 Prouvé et Perrians, qui sont d'ailleurs des "designers" que j'aime beaucoup. Mon goût pour les arts, je le sème comme je peux dans mes films. Faire un long métrage uniquement axé sur la peinture, je ne vois pas comment ce serait possible...

    Yvan Attal racontait que le goût pour la photographie que vous lui avez transmis l'a influencé sur son travail de réalisateur...

    C'est possible. On avait fait un sejour ensemble à New York. Il m'avait suivi dans mes pérégrinations à travers les galeries les musees, et ça a été un choc pour lui.

    La mort est très présente dans votre livre. Pourquoi n'avoir jamais abordé ce thème dans vos films ?

    J'ai depuis longtemps un projet à ce sujet. J'avais été frappé par le fait que François Truffaut, quand il se savait condamné, soit allé passer les 6 derniers mois de sa vie chez sa première femme, Madeleine, alors qu'il vivait avec Fanny Ardant et venait d'avoir une petite fille avec elle. Jacques Demy a fini sa vie chez Agnès [Varda]. Et on aurait pu imaginer que Gainsbourg finisse chez Jane [Birkin]. Pour faire un film comme vous me le proposez, il faudrait que j'imagine que je sois moi aussi dans cette situation : six mois à vivre et je retourne chez Anne-Marie, qui serait incarnée par Miou-Miou. Pourquoi pas...

    Parlons de l'état de la production en France... Pensez-vous toujours qu'on produit trop de films ?

    Le problème, surtout, c'est que beaucoup ne sont pas bons. On n'est plus dans les années 60-70, où il y avait Fellini, Bergman, Buñuel, les films de Jacques Demy que j'adore, la comédie italienne, Truffaut, Godard, Melville... Tous ces films atteignaient le public, et souvent à un niveau international. Aujourd'hui, il y a de temps en temps un bon film, comme ceux de Pedro Almodovar. Je suis désolé pour ceux que je ne cite pas, mais je ne suis pas très cinéphile.

    On parle depuis quelques années d'une crise au sein de l'industrie du cinéma français. Qu'en pensez-vous ?

    Aujourd'hui, l'échelle de valeur, c'est Les Choristes. Un succès pareil, c'est le rêve inaccessible, le coup de bol, le billet de loterie nationale. Les diffuseurs et les distributeurs ont tous envie du jackpot, et si en lisant un scénario, ils ne voient pas de jackpot, ça ne les intéresse pas. Et je ne parle pas seulement de cinéma d'auteur... Mais des jackpots, il y en a un tous les dix ans. La production dépend beaucoup de la réaction des chaines de télévision, des distributeurs. S'il ne s'agissait que du désir d'un producteur, beaucoup de films qui ne se font pas se feraient.

    Quel regard portez-vous sur le travail de producteur de votre fils [Thomas Langmann] ?

    Mon fils est très doué, je suis persuadé qu'il fera une carrière dans le métier, mais il n'envisage que des projets surdimensionnés, Moi, quand j'ai commencé, mon père était fourreur. Lui, son père, c'est Claude Berri (sourire)... J'imagine qu'au fond de lui, il aimerait être à la hauteur de son père, ou même le dépasser. Il voudrait tout de suite faire son Ours ou son Jean de Florette. Il finira par y arriver.

    Que pensez-vous de la polémique autour de "Un long dimanche de dimanche de fiançailles", à qui la nationalité française été retirée ?

    Ca, c'est un scandale. Je suis d'accord pour dire qu'il ne faut pas que les Américains bénéficient du fonds de soutien, quoique Truffaut, à l'époque, ait été financé par les Artistes Associés, et moi, à deux reprises, par Columbia. Mais le film de Jeunet avait l'agrément, il fallait le respecter, quitte à décider ensuite que c'est une exception. On pourrait former une commission, et accorder à titre exceptionnel les avantages du système français à un financement américain.

    Pour finir, quels sont vos projets ?

    A l'automne prochain, je tournerai une adaptation du livre d'Anna Gavalda Ensemble, c'est tout avec Charlotte Gainsbourg et Jean-Paul Rouve ndlr, le film a finalement vu le jour avec Audrey Tautou, Guillaume Canet et Laurent Stocker]. Je vais également produire le nouveau film d'Abdellatif Kechiche, le réalisateur de L'Esquive, ainsi que l'adaptation du spectacle de Dany Boon La Vie de chantier.

    Recueilli par Julien Dokhan le 21 décembre 2004

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