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    "Elle s'en va" : Emmanuelle Bercot, itinéraire d'une fonceuse [PORTRAIT]

    Elle a joué pour Claude Miller, écrit pour Maïwenn et réalisé pour Jean Dujardin. Aujourd’hui, c’est Catherine Deneuve qu’elle côtoie dans "Elle s’en va", itinéraire d’une sexagénaire provinciale, ouvrant sa vie trop confinée aux routes et déroutes de la France profonde. Rencontre avec Emmanuelle Bercot, une touche à tout, une fonceuse.

    Emmanuelle Bercot © Mars Distribution

    "Catherine est la seule actrice en France qui m’inspirait un désir viscéral de la filmer. Vous trouvez ça excessif ?"

    D’emblée Emmanuelle Bercot annonce la couleur : dans ce bureau parisien situé place de la Madeleine, les mots échangés iront droit devant, sans frein, ni détour. Un sens de la trajectoire qui colle entièrement à son tout dernier film, centré sur une Catherine Deneuve libérée de ses contraintes, roulant d’une traite vers des rencontres et des paysages nouveaux.

    "Catherine m’intéressait davantage que le scénario. Il n’était pas question qu’elle apparaisse telle qu’elle-même à l’écran mais il était important pour moi de capter des choses que j’avais saisies en la rencontrant ou deviné à travers ses rôles, comme une couche supplémentaire au personnage."

    C’est ainsi par petites touches d’impressions que la cinéaste choisit d’écrire pour l’actrice mais surtout pour la femme qui l'attire et l'inspire depuis l'enfance et Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau.

    Catherine Deneuve et Nemo Schiffman - "Elle s'en va" © Wild Bunch Distribution

    "Je ne suis pas une fan, je n’ai aucune idole."

    Loin de tomber dans l’amour-obsession qu’elle décrit dans Backstage, Emmanuelle a plutôt besoin d'aimer et de capter l'ordinaire, derrière l'extraordinaire des stars qu'elle met en scène. C’est pour cette raison que sur son deuxième film, elle choisira Emmanuelle Seigner en fonction de sa personnalité et non de la qualité de ses essais. Pour cette raison aussi qu’elle désire si souvent travailler avec des non-professionnels (de Valéry Zeitoun à la chanteuse Camille) qui, ose-t-elle l’avouer, "jouent comme [elle] aimerait que les acteurs sachent jouer". C'est-à-dire ?

    "Je trouve que les acteurs ont souvent des tics et une routine qui les empêchent de s’abandonner. Eux au contraire sont si saisissants de justesse. Il y a quelque chose de magique, de tellement authentique."

    L’authenticité. Un critère qui préside aussi à ses choix de mise en scène, elle qui tient à cadrer ses acteurs au plus près, sans distance ("quel que soit leur âge"), sans complaisance ("Je suis aussi du métier, je ne les vois pas comme des personnes à choyer") et dans les situations les plus vraies.

    Isild Le Besco et Emmanuelle Seigner - "Backstage" © Haut et Court

    "Plus jeune, je n’étais pas cinéphile. Le cinéma était surtout un divertissement."

    C’est plus tard qu’il deviendra une vocation née d'un déclic, nourrie sur les bancs de la Fémis et centrée sur le questionnement adolescent : de La Puce (récit du dépucelage d’une jeune fille par un homme d’âge mur), à Mes chères études (sur la prostitution estudiantine) en passant par Clément et Backstage (deux histoires d’amours troubles, entre un enfant et une trentenaire ; entre une fan envahissante et son idole.) Dans Elle s'en va, l'enfance dépeinte de façon plus légère, a également son importance, logée dans les échanges entre le bluffant Nemo Schiffman (son propre fils) et la fantasque Deneuve.

    "Le tournant pour moi ? Lorsque j’ai découvert Cassavetes et ai compris que le cinéma pouvait donner l’impression d’être la vie."

    Un tournant qui a dessiné sa marque de fabrique en tant que réalisatrice mais aussi en tant que scénariste, consacrée en 2011 avec Polisse, l'oeuvre de Maïwenn portant sur la brigade de protection des mineurs (l’enfance toujours), et à qui Bercot a apporté sa plume "hyper" réaliste.

    Déborah François - "Mes Chères études"

    "La casquette la plus facile à porter ? Celle d’actrice. La plus évidente ? Celle de réalisatrice."

    Exerçant de temps à autre le premier métier (souvent sous la direction de ceux qu'elle connait tels que Benoît Jacquot, Maiwenn ou Olivier Assayas), c’est au second qu’Emmanuelle préfère se consacrer, consciente du privilège qu’il y a à l’exercer. Un bémol cependant : le caractère ingrat d’un processus créatif sur lequel on "passe trois ans de sa vie, assassiné en trois critiques après avoir fait trois entrées".

    "On manque en outre de bons scénarios et c’est ce qui intéresse les producteurs. Si un jour je trouve un scénariste qui écrit comme j’aime, j’arrête ! C’est un calvaire pour moi."

    A bon entendeur ! Celle qui écrit si bien, mais à contre coeur, sera donc plutôt à chercher du côté du jeu ou de la direction d'acteurs ...

    Karin Viard et Emmanuelle Bercot - "Polisse" © Mars Distribution

    "Je ne crois pas qu’il y ait une empreinte féminine dans les films de femmes"

    Alors même qu’elle a eu l’honneur de porter l’unique regard féminin sur la comédie chorale Les Infidèles, portée par Lellouche et Dujardin, Emmanuelle Bercot ne s'intéresse pas du tout à ces questions de parité, refusant même de porter tout étendard militant. Son combat s'il en est, elle le mènerait plutôt de biais, via les beaux portraits qu'elle offre à sa muse Isild ou à son amie Alexandra, à la mesure de ce qu'elles lui ont inspiré. Et quant au machisme du métier ? Elle avoue n'y avoir jamais été exposée. Tout au plus remarque-t-elle un paternalisme des producteurs qui est loin de la déranger...

    "En même temps, quand je fais un film, je me sens plutôt mec que femme, ne serait-ce que par la façon dont je m’habille".

    … et par son incroyable énergie aussi, de celles capables d'épater Deneuve. Une puissance physique que cette ex-danseuse, tout sauf poupée barbie, puise non pas chez des metteurs en scène "modèles" mais dans ce qu’elle est et ce qu'elle vit.

    Alexandra Lamy - "Les Infidèles" © Mars Distribution

    "Mon avenir est très concret"

    Et aussi dessiné qu'on peut l'espérer avec deux mises en scène déjà bien avancées : Double peine, centré sur les relations entre un mineur délinquant, son éducateur et sa juge ; et La Fille de Brest, autour du combat d'Irène Frachon suite au scandale du Mediator.

    "Sinon un jour j’aimerais diriger Depardieu et Dujardin. Puis je rêve que l’on m’offre un rôle hyper physique".

    Une route tracée certes mais non balisée pour cette jusqu’au boutiste multitalent, pleine d'idées, et dont les éclats de rires francs laissent penser qu'elle continuera à ne se fier qu’à son désir, se débarrassant au maximum de tout poids freinant.

    Laetitia Ratane

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