Mais qu'est-ce que nous avons dans la tête ? Cette réflexion nous vient souvent à l'esprit lorsque nos actes échappent totalement à notre bon sens et que l'insensé prend le pas sur la réflexion. Cette spontanéité n'est autre que le reflet direct et inexplicable de nos émotions. Quel rapport y a-t-il entre cette brève philosophie de comptoir et le cinéma ? Dans le cas du nouveau bijou des studios Pixar, réalisé par Pete Docter (Là-haut), à peu près tout ! Et quand on parle de bijou, il ne fait aucun doute qu'il s'agit du plus précieux de tous tant la perfection de l'objet filmique surpasse les attentes du spectateur qui recherche, avant tout, le pur divertissement.
Alors, bien entendu, il n'est jamais difficile de vanter les mérites d'une œuvre Pixar qui, plus que n'importe quel autre déclencheur de rire d'enfants, s'évertue à stimuler le plus grand nombre de spectateurs d'âge varié. Ainsi, c'est avec brio qu'ils élaborent des histoires toujours plus improbables, d'une intelligence redoutable et forts catalyseurs de ces fameuses émotions incontrôlables, positives ou négatives, que l'on recherche ardemment lorsque l'on franchit le seuil d'une salle de cinéma. Mais cette fois, le film pousse la réflexion dans une profondeur philosophique et pédagogique telle qu'il en devient difficile d'en comprendre les plus grandes subtilités.
Et pourtant l'aventure Vice Versa (mal traduit de Inside Out) commence comme tout parcours initiatique disneyen, où l'enfant doit franchir les obstacles toujours plus insurmontables, afin d'accéder, symboliquement, à une plus grande sagesse et construire sa véritable identité de futur adulte. On suit donc le parcours de la jeune Riley, 11 ans, qui doit faire face à la première grande crise de sa vie, le déménagement vers la ville de San Francisco avec ses parents. C'est plongés littéralement dans sa tête, que nous faisons la connaissance des cinq petites mains travailleuses et actives d'un centre de contrôle du cerveau: Joie, tristesse, peur, dégoût et colère. Mais le contrôle de ces grands émotifs devient compliqué et la mémoire de Riley risque d'être endommagée définitivement...
Comme toute œuvre Pixar, Vice Versa s'appuie, avant tout, sur un scénario particulièrement bien ficelé par trois auteurs, Pete Docter, Meg LeFauve et Josh Cooley, qui ont trouvé l'idée brillante d'allégoriser le principe psychophysiologique des émotions de base, abordé la première fois par le très illustre Darwin. Le film nous explique parfaitement, en début d'intrigue, cette faculté innée de survie de l'être vivant qui lui permet de faire face à toutes les situations alarmantes, dans une tonalité volontairement enfantine et schématique. Puis, une double lecture (petits et grands) s'installe, peu à peu, pour mieux s'effacer à la fin. Si nous croyons d'abord que la construction de l'identité d'un enfant qui grandit se fonde sur le contrôle de ses émotions, nous découvrons que le lâcher prise par l'expression de ses sentiments est la condition sine qua none à son épanouissement en tant qu'adulte. Dès lors, il devient difficile, du fond de son siège, à l'abri des regards, de ne pas se laisser submerger par cette « illumination » qui nous bouleverse, au rythme de la musique de Michael Giacchino qui transcende, toujours plus, l'oeuvre cinématographique.
Finalement ce chef d'oeuvre détient une vérité sur l'homme qui dépasse les normes d'un comportement en société et nous explique que, parfois, les effervescences chaotiques d'un enfant qui ne refoule pas ses émotions est la clé pour mieux les maîtriser. Cette fois le parcours initiatique ne s'adresse plus au bambin excité qui a déjà compris le sens profond du film, avant les autres, mais à l'adulte perdu dans les inhibitions qu'il s'impose, chaque jour, dans un monde où la fragilité n'a pas sa place. Par sa portée hautement pédagogique, Vice Versa deviendrait même un objet d'étude pour le jeune : de l'élève de maternelle, dans son apprentissage de la vie sociale à l'élève de terminal qui y trouverait bon nombre de réponses à ses recherches d'apprenti philosophe.