Terry Gilliam a toujours été un peu en marge de ce qui ce fait traditionnellement à Hollywood, pour s’en convaincre, il suffit de voir sa filmographie ("Sacré Graal !", "Jabberwocky", "Brazil", "Les Aventures du baron de Münchausen", "Las Vegas Parano", "L' Armée des 12 Singes", "Tideland"…). Après les catastrophiques évènements qui ont plombé son "Don Quichotte" et le succès relativement faible de ces trois dernières péloches ("Tideland", "Les Frères Grimm" et "L' Imaginarium du Docteur Parnassus"), on a cru que le vieux briscard british rendrait définitivement les armes pour profiter d’une retraite bien méritée…que nenni les gens !! Voici notre ami Terry qui revient avec une nouvelle tentative de dystopie aliénante avec "Zero Theorem" : l’histoire se déroule dans un futur ultra high-tech où tout et tout le monde est connecté. Qohen, qui travaille depuis longtemps pour le compte de Management, est un homme refermé sur lui-même qui adore travailler mais déteste les bains de foule. Quand Management lui demande de bosser sur un projet très spécial tout en restant chez lui, il est ravi et accepte sans concessions. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que ce projet allait peu à peu lui phagocyter sa vie…Je sais ce que vous allez vous dire : « mais ça ressemble vachement à son film "Brazil", il a donc fait un remake ? ». Et pour être tout à fait franc, vous n’êtes pas loin de la vérité car "Zero Theorem" n’est pas vraiment un remake de "Brazil", mais plutôt une ré-adaptation moderne : à la place de l’administration à outrance nous avons ici une totale addiction aux ordinateurs et au net, la quête de la liberté personnelle est remplacé par celle du sens de la vie, nous avons toujours un héros introverti qui va s’émanciper par la découverte et l’apprentissage des sentiments, une femme « multi-visage » qui sera le deus ex machina de l’émancipation du protagoniste principal, Big Brother, qui représentait l’omniprésence du gouvernement autoritaire, devient ici Managment, big boss ultime de l’entreprise ultra capitaliste par excellence…C’est bien cela : Gilliam a voulu faire une version moderne de son film culte. Le résultat est-il à la hauteur du modèle, voilà une question très difficile à répondre car je pense très sincèrement que cela dépend du ressenti de chacun : pour ma part, je trouve le monde, la quête du héros et le récit de "Zero Theorem" plus intéressants mais au final je préfère largement la mise en scène, les rebondissements et surtout la fin de "Brazil". En effet, Gilliam fait trop traîner son récit en longueur, ce qui a pour conséquence de le compliquer et, donc, de perdre le spectateur. Et ce n’est pas la fin perplexe qui aurait mérité plus d’explications qui va arranger les choses : on a l’impression en ressortant de la salle d’avoir loupé quelque chose en balançant « Tout ça pour ça ?!! » et « Mais ça n’a aucun sens !! » C’est dommage car le potentiel de la réflexion quasi philosophique de la quête du projet Zero était énorme. Mais bon : ce n’est qu’une question de goût, cela n’enlève rien au fait que les deux films sont bons. Comme je viens de le dire, j’ai adoré la vision du futur qu’on nous livre dans "Zero Theorem" : même s’il est assez coloré et kitch, il n’en est pas moins totalement impersonnel et artificiel. Nous nous retrouvons dans une société ultra-connectée dans laquelle les gens écoutent seul dans leur coin leur propre musique en soirée tout en se filmant en mode selfie, où l’informatique est absolument partout, où tout est sous contrôle, dirigé et surveillé. Tout est fait pour limiter au maximum les interactions sociales et nous déshumaniser…à ce titre, le personnage de Qohen est le parfait représentant de cette société privilégiant les relations virtuelles à celles réelles, la meilleure preuve est le fait qu’il refuse le moindre contact physique avec le personnage de Bainsley, alors qu’il n’hésitera pas trop à la retrouver dans le cybersex. Finalement, quand on regarde dehors tous les jours tous ces « zombies » qui sont collés à leur portable pour tout le temps être sur leur stupide Facebook, on se dit que notre futur est peut-être le futur de "Zero Theorem" ; ce qui en fait un avenir plutôt terrifiant (et puis il y a autre chose de terrifiant dans ce film : une publicité sur un mur qui te parle directement et qui te suis tant que tu marches à côté du mur, c’est super flippant !!!) Au niveau des acteurs, le casting a été choisi avec goût et nous propose de belles prestations : Christoph Waltz est assez surprenant et touchant en simili autiste qui ne s’épanouit que dans le travail, Mélanie Thierry apporte un peu de piquant avec sa fantaisie naturelle en incarnant une superbe femme fatale tentatrice, David Thewlis amène une petite touche tragico-comique avec un personnage qui apparaît caricatural mais qui est au final assez complexe, le jeune Lucas Hedges est lui aussi étonnant en incarnant une sorte de « négatif » de Qohen vis-à-vis de leur attitude face au monde et aux autres, Tilda Swinton est utilisée ici (presque à contre-emploi quand on voit sa filmographie) comme l’élément comique du film avec ce logiciel de psychiatre virtuelle qui est censé suivre Qohen et cela lui va comme un gant, et même si on ne le voit pas longtemps, Matt Damon incarne un Managment tout en prestance (et puis, son grimage vaut amplement le coup d’œil !). Ré-adaptant son film le plus connu, Terry Gilliam livre avec "Zero Theorem" un film intéressant sur la destinée humaine, son but et ses fantasmes, tout cela au sein d’un enfer kafkaïen informatisé flashy. Si notre ami british a toujours une volonté certaine de dénoncer des choses (l’individualisme, la futilité de la technologique à outrance, l’ultra capitalisme, le culte de l’apparence), il a cependant mis la barre un peu trop autre en posant une question philosophique quasi mystique à laquelle il était assez difficile de proposer un dénouement concret et satisfaisant….malgré tout, le film vaut rien que pour voir Mélanie Thierry en cosplay d’infirmière sexy avec une perruque rose style « manga girl » : tout simplement exquis pour les yeux !!!