Celle que vous croyez est l’adaptation du roman éponyme de Camille Laurens. Le réalisateur Safy Nebbou a découvert le pitch du roman dans la lettre d’information éditée par Gallimard. "J’ai alors très vite émis le souhait de le lire, avant même qu’il ne soit publié. Et je l’ai dévoré d’une traite. Un véritable coup de coeur ! En le lisant, j’ai tout de suite pensé à Rashomon d’Akira Kurosawa, où chacun, tour à tour, raconte sa version. J’ai également pensé à Vertigo d’Alfred Hitchcock, où James Stewart est amoureux de l’image d’une femme fantôme. Mais encore à Marivaux et ses Fausses confidences, à Choderlos de Laclos et ses Liaisons dangereuses, à Borges, à Pirandello… Michel Saint Jean, mon producteur, était aussi enthousiaste que moi. Nous avons donc décidé de développer l’écriture d’un scénario. Celle que vous croyez est notre troisième film ensemble, après L’Empreinte de l’ange et Comme un homme."
Safy Nebbou s'est associé à Julie Peyr pour écrire le scénario de Celle que vous croyez. "Ce sont ses qualités de scénariste qui ont guidé mon choix. Particulièrement son travail avec Arnaud Desplechin. (Jimmy P., Trois souvenirs de ma jeunesse et Les Fantômes d’Ismaël). Ce qui est amusant, c’est que Julie Peyr habite Los Angeles : nous avons donc travaillé à distance pendant plus d’un an au moyen de Skype et de WhatsApp. Nous étions déjà dans l’univers du film, d’une certaine façon !"
Celle que vous croyez donne à voir une réflexion assez passionnante sur les ressources humaines – et romanesques – des réseaux sociaux. Selon Safy Nebbou, c'est là que se situent les liaisons dangereuses : "L'expression de « liaisons dangereuses » est bien choisie puisque Claire (Juliette Binoche) est professeur de littérature comparée à l’université. Comment ne pas penser au texte de Laclos lorsque l’on décortique les jeux de pouvoir et de manipulation qui sont de mise aujourd’hui sur les réseaux sociaux ? Sous couvert du virtuel, il est aisé de s’inventer une nouvelle identité et une nouvelle vie : celle que l’on aimerait vivre… Les réseaux sociaux offrent d’infinies possibilités pour favoriser, entretenir et attiser de multiples formes de « liaisons dangereuses ». Il est probable que ces nouvelles technologies feront aussi émerger de nouvelles pathologies."
Le sujet tient particulièrement à coeur au cinéaste Safy Nebbou car il a lui-même été piégé par une femme via les réseaux sociaux. "Une femme de l’âge de Claire, qui s’est fait passer pour plus jeune, comme elle. Cette histoire, vous voyez je parle « d’histoire », m’est arrivé alors que j’étais en train d’écrire l’adaptation de Celle que vous croyez. Invraisemblable, non ? J’ai communiqué avec cette « fausse identité » pendant 3 mois avant de découvrir le pot aux roses. Comme Claire, elle avait utilisé la photo d’une autre. Je dois dire que je me suis beaucoup inspiré de cela pour écrire le scénario, en réutilisant même certains de mes propres échanges."
La narration mise en place par Safy Nebbou est très visuelle. Elle multiplie les plans sur des portes-fenêtres, des miroirs ou des écrans. Le film a une dimension de « genre » totalement assumée, loin d’une écriture naturaliste. "Il faut accepter ce parti pris pour entrer dans cette histoire. On est dans le symbole, le ludique et la métaphore, tout le temps. L’écran d’ordinateur, par exemple, permet à la fois de nous mettre face à nous-mêmes (il reflète notre propre image) et de masquer le réel (en nous plongeant dans le virtuel). Le film joue de cet effet miroir. Par ailleurs, un va et vient constant s’opère dans le récit entre le monde réel de Claire et la dimension virtuelle de son avatar. Nous avons travaillé dans ce sens avec Gilles Porte, le chef opérateur, et Cyril Gomez-Mathieu, le directeur artistique, en cherchant des similitudes et des correspondances, aussi bien au niveau des images, que de la lumière ou des rythmes. C’est ainsi que des icônes ou des écrans se répondent en permanence."
Safy Nebbou a pensé à Juliette Binoche dès l’écriture du scénario. "Lorsque je lui ai envoyé le script, elle l’a lu en 3 heures et m’a tout de suite répondu « oui ». Nous nous sommes accordés sur le scénario de manière simple et constructive. Juliette a une vision de la narration à la fois globale et très aiguisée, elle était sans cesse dans la proposition. Je peux vraiment parler d’évidence entre nous, et de confiance. J’ai senti qu’il y avait quelque chose, au-delà de l’histoire et du rôle, qui lui parlait en tant que femme. Sur le plateau, c’est un Stradivarius, et tout ça avec une honnêteté et un courage rares ! Elle n’a rien perdu de la petite fille qui s’amusait à faire l’actrice. Elle est généreuse et n’a jamais peur de se mettre en danger ni de se mettre à nue. Elle se regarde en face dans son âge, c’est pourquoi elle rayonne et c’est aussi pour cela que j’ai eu un plaisir extraordinaire à la filmer."
François Civil, dans le rôle du jeune amant berné et Nicole Garcia, dans celui de la psy, s’imposent également avec une belle intensité. "François est un jeune acteur naissant, extrêmement talentueux. Je le connaissais mal dans un registre plus dramatique. Il a accepté de faire des essais, et lui aussi m’est apparu comme une évidence. Il est entré dans le rôle avec beaucoup d’humilité et de sensibilité. Pendant toute la première partie du film, il doit faire passer des émotions à travers des échanges téléphoniques, ce qui n’est pas simple du tout ! Pour mettre le plus possible Juliette et François en situation, nous avons d’ailleurs tourné ces séquences dans la continuité, et en direct sur le plateau, sans jamais qu’ils ne se rencontrent. Et cela a très bien fonctionné. Quant à Nicole Garcia, c’était un rêve pour moi, car elle est à la fois une actrice, beaucoup trop rare, et une cinéaste de talent. De fait, elle impose sa fonction de psy par sa seule présence dans le film. Mais au delà de ça, elle apporte beaucoup de fragilité et de subtilité à ce personnage qui vit un transfert, puisque cette psy dysfonctionne et entre en empathie avec sa patiente. J’aime l’idée d’une solidarité féminine", explique Safy Nebbou.
Un des thèmes du film est celui des réseaux sociaux et de leurs liaisons dangereuses. Juliette Binoche donne son point de vue sur la question : "Personnellement j’ai un compte Instagram, c’est un moyen ludique et direct de partager mes préoccupations, mes tournages, des photos, des poèmes avec des personnes du monde entier. Le lien cosmopolite me rassure. La communication a complètement changé avec tous ces réseaux sociaux, on a beaucoup plus de doutes sur tout ce qu’on essaye de nous faire croire dans les médias classiques. L’information pullule dans tous les coins de la terre, on a l’impression que tout va très vite. Se recentrer sur sa propre énergie demande de la sagesse et de la vigilance, car nous sommes pollués et surveillés de partout."
Au début, Safy Nebbou se méfiait un peu de la méthode Juliette Binoche, déconcerté par l'actrice travaille avec des coachs avant le tournage. "Je crois qu’il avait le sentiment que j’allais lui échapper ! Je suis étonnée de voir qu’en France, le travail des acteurs fait peur aux producteurs et aux réalisateurs, c’est intéressant à observer. Alors que cela devrait être plutôt rassurant qu’un acteur travaille en amont, comme un réalisateur travaille avec son chef opérateur et son décorateur. Un acteur qui travaille est plus libre et disponible ensuite ; surtout et c’est là que c’est intéressant, il a une connaissance intérieure du projet, il participe pleinement à la création, il nourrit le projet, le réalisateur et peut inspirer l’équipe."