"C'était tellement absurde" : pourquoi le réalisateur de Speed et de Twister n'a-t-il rien tourné depuis 22 ans ?
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Fameux directeur de la photographie, Jan de Bont fit des débuts fracassants de réalisateur en 1994 avec une pépite du film d'action qui a marqué son époque : Speed. Quatre films plus tard, dont "Twister", il tire sa révérence. Qu'est-il devenu ?

Peu de cinéastes ont vu leurs noms aussi fermement ancrés dans les années 90. Jan de Bont est de ceux-là. Directeur de la photographie réputé, il entame sa carrière au cinéma sous les auspices d'un fameux compatriote, Paul Verhoeven, pour qui il signera notamment la photo de la Chair et le sang et Basic instinct.

Un Die Hard lancé à 80 Km/h

Il travaille également sur des films comme Le Diamant du Nil; Black Rain de Ridley Scott; se met au service du grand John McTiernan pour A la poursuite d'Octobre rouge, mais surtout Piège de cristal, qui lui apporte la reconnaissance internationale. Jan de Bont termine sa carrière de chef opérateur en 1992 en collaborant sur L' Arme fatale 3.

Deux ans plus tard, il fait des débuts fracassants en tant que réalisateur avec le film d'action Speed, énorme succès public porté par Keanu Reeves et Sandra Bullock face à un Denis Hopper plus méchant que jamais.

Un an avant Michael Bay et son Bad Boys, dans un style aussi moins tape à l'oeil / clipesque qu'un Tony Scott, Jan de Bont imprime sa marque avec ce blockbuster, avec un sens du rythme et de la mise en scène absolument diabolique. Un triomphe, puisque le film rapportera l'équivalent de 756 millions de dollars, si l'on ajuste à l'inflation.

Twentieth Century Fox

Des tornades qui décoiffent

Deux ans plus tard à peine, il frappe encore plus fort avec Twister et ses démentielles séquences de tornades, qui rapportera plus de 494 millions de dollars (soit un peu plus d'un milliard aujourd'hui). Ses effets visuels étaient si réussis qu'une flopée de films ont essayé de le copier dans les années suivant sa sortie. Le film a même été nommé aux Oscars pour le Meilleur Son et les Meilleurs Effets Visuels (qui ira au film Independence Day pour ce dernier).

C'est peu dire que Jan de Bont n'a pas beaucoup apprécié de ne pas avoir été ne serait-ce que consulté pour le remake sorti l'été 2024, soulignant aussi le côté artisanal de son film derrière la création des effets visuels par les sorciers d'ILM.

"Quand des choses tombaient du ciel, c'étaient de vraies choses qui tombaient d'un hélicoptère… Si vous filmiez une voiture échappant à une tornade sous une tempête de grêle, c'était de la vraie glace qui nous arrivait dessus. C'est un film qui ne peut pas être refait… Cela n'arrivera plus jamais, jamais" confiait-il, dans une des rares interview qu'il a accordé depuis qu'il a quitté les travées d'Hollywood.

Tout en se révélant sceptique sur cette tendance à débaucher des réalisateurs et réalisatrices issus de la sphère indé, directement et rapidement catapultés à la tête de ces Tentpole movies et autres blockbusters de super-héros.

"N'oubliez pas que la raison principale pour laquelle ils trouvent des personnes plus jeunes et inexpérimentées est qu'ils veulent pouvoir les contrôler totalement" dit-il. "Ils veulent qu'ils aient de très bons assistants réalisateurs, scénaristes, producteurs, directeurs de la photographie afin qu'ils aient toute l'aide possible. Mais en fin de compte, le studio va leur dire ce qu'il y aura dans le film. Je le sais de première main".

Warner Bros.

Cap sur le rocher

En ayant le jeu de mots facile, son Speed 2 : cap sur le danger, sorti en 1997, fut un naufrage artistique et commercial. Doté d'un budget pharaonique de 160 millions $ (ce qui correspondrait, ajusté à l'inflation, à plus de 280 millions $ aujourd'hui !), Speed 2 s'est écrasé sur les récifs du Box Office mondial, en ne ramassant que 164 millions $; soit, ajusté à l'inflation, 327,7 millions $. Hantise, son (très mauvais) remake de La Maison du diable de Robert Wise, sorti en 1999, n'a pas davantage séduit les spectateurs des salles obscures, avec à peine 177 millions $ au compteur (soit 347,3 millions $ aujourd'hui).

"Ca n'en vaut pas la peine, vous savez"

En 2003, il signe ce qui sera son dernier film connu; le second opus des (més)aventures de Lara Croft, dans Tomb Raider : le berceau de la vie. De Bont fut particulièrement échaudé par les nombreuses interférences du studio Paramount sur le film, surtout lorsqu'on lui demanda de couper 12 millions de dollars dans le budget dès le premier jour de tournage, comme il l'a raconté dans une interview pour le site Uproxx en 2020.

"En gros, vous vous dites : "attendez une seconde, tous les films vont être comme ça ? Où le studio a son mot à dire sur ce qui va être fait, quelles scènes doivent être incluses, et même quel genre de chemise quelqu'un doit porter à un moment donné ? Ils n'aimaient pas les boutons d'une chemise !

Je m'en souviens encore, j'ai reçu un appel : "Je n'ai pas aimé les boutons de la chemise". Quel était le nom du gars ? L'acteur principal dans ce film ? Oh là là, j'ai oublié son nom. Mais ensuite : "Attendez, vous m'appelez parce que vous n'aimez pas les boutons de la chemise ?" C'était tellement absurde. Vraiment. Et puis aussi devoir constamment gérer des problèmes de budget".

Paramount Pictures

L'influence du studio s'est avérée au bout du compte trop frustrante pour lui. "Parce que j'avais l'impression que c'était une période où les studios prenaient une part beaucoup plus importante dans la réalisation du film. Et c'est devenu... ça n'en vaut pas la peine, vous savez" explique-t-il. S'il a fait ce constat lucide il y a déjà 22 ans, on ne peut pas vraiment dire que les choses se soient arrangées de ce côté, bien au contraire. La mainmise des studios s'est encore plus renforcée...

"Je ne veux pas un film de stars"

Le réalisateur désormais octogénaire (et oui...) va-t-il un jour revenir à la réalisation ? Après tout, Ridley Scott n'a jamais autant tourné alors qu'il affiche 87 ans au compteur, même s'il prend soin de rester justement dans le système des studios. Le papa de la saga Mad Max, George Miller, est toujours aussi fringant du haut de ses 80 ans, et donne des leçons de film aux aspirants cinéastes avec ses ébouriffants Mad Max Fury Road et Furiosa.

"J'aime vraiment les films comme Speed ou Twister, qui ont cette grande énergie, et de vraies personnes dedans" confessait de Bont au site The Wrap, en 2024, qui lui a justement posé la question sur son devenir de cinéaste. "Je ne veux pas un film de stars, je veux quelque chose auquel les spectateurs habituels des cinémas peuvent s'identifier. Si cela est encore possible." Il n'y a qu'une seule façon de le savoir". On croise les doigts de le revoir un jour...

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