Mon compte
    Marie-Anne Chazel : "On assiste à un formatage de l'humour"

    Au générique de "Marius" et "Fanny", sortis en DVD et Blu-Ray le 13 novembre, Marie-Anne Chazel est revenue avec nous sur quelques étapes clés de sa carrière.

    Si Raphaël Personnaz et Victoire Belezy faisaient leurs premiers pas chez Daniel Auteuil, dans Marius et Fanny, Marie-Anne Chazel non. Déjà au générique de La Fille du puisatier, la comédienne est ainsi revenue avec nous sur quelques étapes de sa carrière, du Splendid aux Visiteurs, en passant par la télévision et sa première réalisation. Sans oublier Pagnol.

    Allociné : Le rôle d'Honorine est-il de ceux que l'on accepte facilement, sans appréhension liée au fait qu'il ait déjà été joué auparavant ?

    Marie-Anne Chazel : On accepte ce rôle avec un bonheur immense, car c'est une grande chance d'avoir la possibilité de jouer ces textes-là. Vous êtes généralement bien meilleurs avec des textes bien écrits qu'avec des mauvais (rires) Et il y a le fait de pouvoir s'inscrire dans une tradition. C'est un peu comme au théâtre lorsque vous jouez un Feydeau ou Molière déjà interprété des tas de fois avant vous : vous y allez aussi pour laisser votre petit caillou blanc. Donc c'est très excitant et formidable, et la version de l'époque de Pagnol a été tournée il y a très longtemps. On a pas des références aussi présentes que pour d'autres films. Moi je l'ai vu comme un cadeau, une grande chance, et j'y ai pris beaucoup de plaisir.

    Et le fait que Daniel Auteuil réalise était-il un plus, vu que vous aviez déjà tourné sous sa direction dans "La Fille du puisatier" ?

    Absolument ! Pour moi, c'était d'abord une évidence que Daniel le réalise car c'est un univers dans lequel il est totalement à l'aise et qui lui appartient. Il connaît aussi bien les ressorts liés aux gens du Midi que les ressorts dramaturgiques, entre le rire et l'émotion, car il les maîtrisait en tant qu'acteur et lorsqu'il a réalisé La Fille du puisatier. Du coup j'étais encore plus emballée qu'il puisse adapter la Trilogie de Pagnol.

    "Daniel Auteuil a envie que l'on voit les émotions"

    Quelles sont les principales différences entre lui et d'autres réalisateurs qui n'ont pas été acteurs ?

    La différence est énorme car il pense acteur. Il pense les scènes comme un acteur, surtout là, comme il était libéré de la contrainte et de la pression technique qu'il avait découvertes sur La Fille du puisatier. Donc il est vraiment au service du jeu, du texte, et donc des acteurs. Il a envie que l'on voit les émotions, que l'on ressente ce que l'on veut donner ; il est extrêmement attentif aux nuances et nous pousse très loin dans le jeu, dans la comédie. On a ainsi pas peur d'y aller, vu qu'on a un garde-fou qui est son regard, puisqu'il est lui-même acteur et sait partager son savoir-faire avec celui qu'il dirige.

    Quand il vous a dirigée sur "La Fille du puisatier", cela vous a-t-il rappelé vos débuts de réalisatrice avec "Au secours, j'ai 30 ans !" ?

    De le voir faire, oui. Sauf que moi je n'ai pas joué dans Au secours, j'ai 30 ans !, car je ne me sentais pas de faire ce qu'il y a réussi de façon incroyable : jouer et réaliser en même temps. Ce qui m'a fasciné, c'est ce passage tellement évident chez lui entre devant et derrière la caméra, comme un feu follet. Il n'arrêtait vraiment pas : il sautait partout avec l'énergie nécessaire pour, à la fois, voir la scène de l'extérieur et tout de suite être à l'intérieur pour pouvoir jouer. Du coup je n'ai pas pensé à moi car j'avoue qu'il m'a beaucoup impressionnée, mais il m'a quand même rappelé mon expérience par la jubilation qu'il avait à découvrir ça et diriger des acteurs, en en étant lui-même un.

    Quand votre film est sorti, la critique l'a plutôt mal accueilli. Est-ce qu'il n'y aurait pas des préjugés à l'égard de ces acteurs, souvent de comédie, qui passent à la réalisation ? Il arrive souvent que le film soit descendu avant d'être vu...

    C'est peut-être ce qui a joué contre mon film à l'époque, mais je ne me suis jamais posé cette question. J'ai plutôt pensé que c'était mon histoire personnelle et que mon film n'était pas être pas assez comique par rapport à ce que les gens attendaient vu l'univers d'où je viens. Il y avait une attente préconçue je pense, mais ça ne me semble pas être lié au fait qu'une comédienne passe derrière la caméra, ce qui est devenu monnaie courante aujourd'hui, et il me semble que plus aucun critique ne se formalise. Vous trouvez que c'est encore présent ?

    Ça arrive encore oui...

    Ce que je peux vous dire, c'est qu'en tant qu'acteur ou actrice, on trouve une écoute et une précision sans comparaison au niveau du jeu, entre un réalisateur qui lui-même acteur et un qui ne l'est pas.

    En plus de ça vous aviez déjà officié en tant que scénariste, donc réaliser c'était la suite logique.

    Oui, absolument. Et puis c'était un désir que j'avais depuis longtemps, et je sentais bien cette histoire. Je connaissais mon sujet.

    "Je voulais être sûre à 120% que j'en étais capable"

    Pourquoi avez-vous mis longtemps à la réaliser ? Vous attendiez le bon moment ?

    (rires) Oui. On me l'avait souvent proposé avant mais je ne me sentais pas encore... En fait c'était un manque de confiance en moi. C'est tout bête et je pense que c'est un problème inhérent à pas mal d'acteurs, moi en particulier, que de se faire confiance. Et moi je voulais être sûre à 120% que j'en étais capable, plutôt que de me lancer en prenant un risque, et voilà. C'est tout simple. D'ailleurs je n'ai pas refait de film depuis car j'ai beaucoup tourné après, pour la télévision notamment, et joué au théâtre, mais aussi parce que j'ai besoin de trouver le sujet qui me convient exactement.

    J'avais écrit un scénario que je n'ai pas réussi à monter, celui de Le Bonheur des Dupré , que j'ai ensuite fait pour la télévision. En fait ce sont des questions de timing. Je dois être quelqu'un d'un peu lent. Je prends les choses qui viennent, et comme à ce moment-là j'ai eu des propositions de jeu vraiment intéressantes à la télévision, pour m'attaquer à un répertoire que je n'avais jamais abordé, comme Molière, Labiche ou Maupassant, ça m'a comblé. Mais renouer avec ce grand cinéma, avec Auteuil et ses acteurs, c'était un bonheur et c'est pour ça que je l'ai pris comme un cadeau.

    Puisque vous parlez de télévision : qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans les différences entre petit et grand écran, en termes de production ?

    Le temps. C'est la vraie grosse différence, qui est toutefois en train de se réduire car on en a de moins en moins au cinéma et pas plus à la télévision. Il n'y a plus beaucoup de films qui se tournent sur 3 ou 4 mois comme on avait pu le connaître avant. Donc le temps qui est donné à tout le monde, équipe comme acteur. Ça demande une réactivité extrême, mais c'est bien car c'est un autre type de travail qui nécéssite d'aller vite, d'être prêt en amont et d'avoir beaucoup travaillé, contrairement à ce que l'on pense. Ça permet aussi de moins attendre, donc je suis contente que ça aille plus vite.

    Il y a aussi des différences de sujets, car certains ne peuvent pas être abordés au cinéma mais à la télévision. Mais bon, beaucoup de sujets de cinéma pourraient être adaptés pour la télévision, du point de vue de l'intérêt ou de la façon de les traiter. Et puis j'ai rencontré des acteurs merveilleux et de très bons metteurs en scène à la télévision. Il y a beaucoup de moins de sous, donc ça met ces derniers dans un cadre extrêmement contraignant financièrement, et la fiction a de plus en plus de mal à exister à la télévision. A un moment donné, ça n'est pas vrai : on ne peut pas faire de bonne fiction sans un minimum d'argent. Ça n'est pas possible.

    Vous parliez tout à l'heure de votre expérience de scénariste. Ça a notamment été le cas avec le Splendid et sur "Les Bronzés". Comment avez-vous vécu l'accueil du premier, devenu culte par la suite ?

    J'en ai forcément un souvenir assez lointain, parce que c'était avant-hier. On était d'abord dans l'émerveillement d'avoir fait un film : on était une bande de jeunes pas du tout connus, on avait petit café-théatre de 150 places... On était complètement confidentiels, et si certains commençaient à tourner pour le cinéma, comme Gérard [Jugnot, ndlr], Thierry [Lhermitte, ndlr] ou Christian [Clavier, ndlr], c'était très peu. Donc déjà nous proposer d'adapter cette pièce de café-théâtre, c'était vraiment un cadeau du Père Noël. On a eu un certain succès, compte-tenu que le film était avec des inconnus complets, et la force de son sujet a fait qu'il a commencé à beaucoup marcher.

    Là où ça a été plus intéressant, c'est quand on a sorti Le Père Noël est une ordure : on voulait le faire tout de suite, après l'avoir écrit pour le théâtre. Mais le producteur nous a dit qu'il voulait un second Bronzés, car le premier avait très bien marché. On l'a donc écrit, et nous sommes passés à une dimension un peu moins artisanale : la production était plus importante, on avait plus de temps et d'argent, donc le film était techniquement plus abouti et soigné, et qui a rencontré le succès que l'on connaît.

    Et c'est là que nous avons adapté Le Père Noël... pour le cinéma. Mais son acceuil a été très mauvais. On a eu des critiques épouvantables, le score en salles n'a pas été très bon et on a été interdits d'affichage à la RATP car le titre attaquait un mythe enfantin. Sauf que le film a fait sa vie par la télévision grâce à qui il est devenu culte. Du coup on se le cloque tous les ans (rires) Sur toutes les chaînes, que ce soit la pièce ou le film, mais de façon magique pour nous, car on aurait jamais pu imaginer que ces films allaient traverser le temps et avoir un public si jeune maintenant.

    "C'était plus artisanal à l'époque"

    Est-ce que le succès du premier vous a mis plus de pression au moment d'écrire "Les Bronzés font du ski" ?

    Oui. Ça nous a mis la pression car nous n'avions pas tous envie de poursuivre dans cette veine. Michel [Blanc, ndlr], par exemple, n'a pas voulu écrire le film. En même temps, la pression était mitigée vu que nous n'avions fait qu'un seul film. Il ne faut pas éxagérer non plus (rires) Et puis l'époque était beaucoup plus insouciante : on avait pas du tout la sensation d'avoir sur nous ces pressions de production ou de médiatisation, il y avait très peu d'émissions ou d'interviews, on ne faisait pas des press junkets qui durent la journée avec 50 personnes qui vous interviewent. C'était plus artisanal à l'époque. Mais c'est vrai qu'on savait plus dans quel style on allait. On savait qu'on devait faire une comédie populaire et que les gens attendaient de nous quelque chose qui soit à la fois efficace et drôle, et dans lequel on soit nous-mêmes. Mais comme on a toujours écrit les choses qui nous faisaient rire nous, on s'est fait confiance, on s'est lancés comme ça.

    Cette pression relative que vous évoquiez, ça ne serait pas la grosse différence entre cette époque et aujourd'hui dans la façon de faire des comédies ? De nos jours les producteurs font rarement confiance à des inconnus comme pour "Les Bronzés", il leur faut des garanties...

    C'est compliqué à dire. C'est vrai que le cinéma a toujours été une industrie et un art, et ça n'est pas évident de faire cohabiter les deux. A l'époque, il y avait aussi d'énormes machines avec Belmondo, des films très importants. Mais on assiste aujourd'hui à un formatage dans le comique et l'humour, un peu à cause de la télévision. Nous, personne ne nous demandait rien, et on a fait ce que l'on avait envie de faire et ce qui nous faisait marrer et nous correspondait, à partir de nos expériences, des gens que nous avions autour de nous ou de notre passage au Club Med pour payer nos vacances. On était en recherche d'un sujet, ce qui a toujours motivé notre démarche d'écriture à 6, qui est quand même une gageure.

    Maintenant j'ai l'impression qu'on a tendance à occulter les sujets en se disant que si on a untel, untel et untel, ça fera un film. Je pense que c'est sans doute ça l'erreur. Je ne me souviens plus qui avait dit ça - quelqu'un de très très connu dont j'ai évidemment oublié le nom - mais l'important au cinéma c'est : le sujet, le sujet et le sujet. Ça se vérifie encore maintenant quand on voit Les Profs : c'est un film pour très jeunes, issu d'un BD, mais il y a un sujet. Avec un certain angle qui défoule les gamins, certes, mais je pense que le succès tient aussi à son sujet.

    Et c'est très embêtant d'oublier ça pour les comédies, car ce ne sont pas que des vannes. Mais en ce moment, il y a une telle importance donnée aux humoristes - même si c'est bien qu'il y ait ce type de spectacle - qu'on en oublie qu'un film c'est une histoire que l'on raconte à des gens. Et même si, en plus, y a des bonnes répliques, des bonnes vannes, il faut quand même un sujet.

    Michel Blanc a récemment déclaré ne pas être fier des "Bronzés 3". Est-ce que vous comprenez son point de vue et partagez son sentiment ?

    Non, je ne le partage pas car je suis plus sentimentale et sans doute moins exigeante que Michel. Je sais qu'il y a des faiblesses dans le scénario mais il y a des trouvailles extraordinaires et des idées formidables. Ça a été un grand moment dans notre vie que d'avoir pu se retrouver, avec cette harmonie et cette facilité à travailler ensemble. Pouvoir se retrouver après si longtemps avec autant de joie, de plaisir et de connivence, alors que chacun a eu sa vie et est parti dans sa direction, c'est quelque chose de formidable. Après, Michel est peut-être plus susceptible aux mauvaises critiques, et il a sans doute mal pris le nouveau déferlement qu'il y a eu. Mais bon, ça on est habitués (rires) Peut-être qu'il y est aujourd'hui plus sensible et qu'il l'a moins supporté.

    Est-ce que vous avez un nouveau projet en commun avec le Splendid ?

    Non. On sait qu'on aimerait un jour retravailler ensemble, parce que l'expérience des Bronzés 3 nous a prouvé que c'était possible et qu'on avait encore un peu de jus et de déconnade à exprimer à nos âges canoniques. Le sujet n'est pas encore trouvé pour l'instant, mais quand ce sera le cas, on s'y mettra. Ça n'est juste pas encore dans les tuyaux pour l'instant.

    "Le succès des Visiteurs a beaucoup agacé"

    Entre la première période Splendid et "Les Bronzés 3", vous avez beaucoup tourné avec Christian Clavier, sur "Les Visiteurs" notamment : un autre film descendu par la critique à sa sortie, mais encensé par le public. Comment avez-vous vécu cet écart et le phénomène qu'est devenu cette comédie ?

    C'était un choc incroyable. On espère évidemment toujours que ce que l'on fait va marcher, et on fait le maximum pour. Là le scénario était très fort, avec cette notion de vieux français, de voyage dans le temps et de personnages d'heroic fantasy. On avait un vrai sujet mais le succès a été une surprise, d'autant plus qu'il n'avait pas démarré aussi fort que ça. Mais il n'a pas arrêté de monter et a, quelque part, connu la même carrière qu'Intouchables. On a fait près de 14 millions d'entrées, ce qui était colossal.

    Après, les critiques français ne sont pas très comédies. Je pense que vous êtes d'accord avec moi : on prend ça pour un sous-genre. Nous on avait eu la chance de connaître le succès très tôt en faisant des films populaires qui faisaient énormément rire les gens, mais ça n'était pas très bien vu. Et ça a continué, donc certains en ont beaucoup plus souffert que d'autres ou sont partis dans des voies un peu annexes. Chacun a le droit d'aimer ou pas, et c'est tout à fait respectable, mais le succès des Visiteurs a beaucoup agacé, car les critiques ne comprenaient pas ce que le public lui trouvait.

    Et après, quand Les Bronzés 3 sont sortis, on tombe sur des critiques disant "Mais il est où le temps des Visiteurs, du Père Noël est une ordure ?" Il y a toujours un petit décalage mais ça n'est pas grave. C'est comme ça. Nous on a la chance incroyable d'avoir le public derrière nous, qui nous suit et est toujours là, donc on ne peut pas non plus tout avoir. Il faut savoir se contenter de ce que la vie vous offre et c'est déjà énorme (rires)

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette

    Crédits photos : Thomas Caramelle/Allociné, Pathé Distribution, Rezo Films, D.R., Jean-Marie Leroy

    Marie-Anne Chazel dans "Marius" et "Fanny"

    Suivez-nous sur Twitter pour connaître l'actu ciné & séries d’AlloCiné Follow @allocine

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top