David Lynch : ses films ressortent au cinéma, voici pourquoi il ne faut pas les rater
Maximilien Pierrette
Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

De "Eraserhead" à "Inland Empire", en passant par "Sailor et Lula", "Mulholland Drive", "Lost Highway" ou encore "Elephant Man", presque tous les films de David Lynch ressortent dans les salles françaises, moins d'une semaine après son décès.

Le 16 janvier dernier, les cinéphiles du monde entier pleuraient David Lynch, mort à quelques jours de ses 79 ans. Avec lui, c'est une autre manière de faire des films qui disparaissait, et il nous laisse une oeuvre inclassable et inimitable, qui distord la réalité et gratte le vernis du rêve américain pour révéler la part de monstruosité que cache chacun de ses compatriotes, sur petit comme sur grand écran.

Une fois le choc de la mauvaise nouvelle passé, une question s'est vite posée chez les spectateurs : comment se (re)plonger dans sa filmographie ? En comblant les quelques manques que l'on peut avoir parmi les dix longs métrages qu'il a signés en un peu moins de cinq décennies ? En retournant directement vers notre chouchou ? Ou en s'offrant un nouveau détour par Twin Peaks, son oeuvre la plus reconnue, dont l'influence se fait encore ressentir aujourd'hui ?

Si vous êtes encore en pleine interrogation ou dans un désir de complétion dans les meilleures conditions possibles, nous avons une bonne nouvelle : la quasi-totalité des films de David Lynch ressort dans les salles françaises à partir du 22 janvier. Seule son adaptation de Dune, dont il garde un souvenir mitigé et considère comme le seul vrai échec de sa carrière, manque à l'appel. Mais pour le reste, suivez le guide.

Eraserhead (1977)

Eraserhead
Eraserhead
Sortie : 7 juin 1978 | 1h 29min
De David Lynch
Avec Jack Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph
Spectateurs
3,5
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Celui par lequel tout a commencé. Après une poignée de courts métrages dans lesquels son goût pour le bizarre et sa capacité à créer un sentiment de malaise transparaissaient déjà, David Lynch persiste et signe en passant au long avec Eraserhead. À mi-chemin entre le drame intime et l'horreur organique, un film expérimental qui confirme son talent lorsqu'il s'agit de déchirer le réel et faire se rencontrer deux niveaux de réalité.

Porté par Jack Nance, son acteur fétiche jusqu'à sa disparition tragique en 1996, suite à une rixe sur un parking, Eraserhead n'est peut-être pas le plus abouti des films de David Lynch, ni même le plus accessible pour un néophyte (on imagine cependant le choc de celles et ceux qui l'ont découvert à l'époque). Mais il contient déjà les germes de ce qui fera de lui l'un des auteurs les plus fascinants de l'Amérique.

Elephant Man (1980)

Elephant Man
Elephant Man
Sortie : 8 avril 1981 | 2h 05min
De David Lynch
Avec Anthony Hopkins, John Hurt, Anne Bancroft
Presse
4,8
Spectateurs
4,4
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"Je ne suis pas un animal. Je suis un homme !" : vous n'avez peut-être jamais vu le film, mais vous connaissez sans aucun doute sa réplique la plus célèbre. Et il se peut que vous ne parveniez pas à associer David Lynch à Elephant Man, qui vous paraît très éloigné de son cinéma (malgré un noir et blanc déjà à l'oeuvre dans Eraserhead) tant il semble plus académique. Au premier abord en tout cas.

Produit par Mel Brooks (oui, oui, l'un des rois de la comédie), Elephant Man raconte certes son histoire de manière linéaire et il ne verse jamais dans le fantastique. Mais il flirte avec l'horreur via le personnage de John Merrick (John Hurt), bête de foire défigurée et difforme, née ainsi après l'accident dont sa mère a été victime, renversée par un éléphant alors qu'elle était enceinte.

Traversé par quelques touches d'humour noir, Elephant Man reste avant tout un drame bouleversant, qui permet à son réalisateur d'aborder le thème de la monstruosité en montrant que le vrai monstre n'est pas toujours celui que l'on croit. Un discours certes classique et que l'on retrouvera ensuite chez Tim Burton (qui aime aussi se pencher sur l'Amérique), mais déroulé avec beaucoup de tact et de justesse, dans ce qui reste le mieux noté des opus de David Lynch.

Blue Velvet (1986)

Blue Velvet
Blue Velvet
Sortie : 21 janvier 1987 | 2h 00min
De David Lynch
Avec Isabella Rossellini, Kyle MacLachlan, Dennis Hopper
Spectateurs
3,9
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Ainsi naquit l'adjectif "lynchien". S'il s'agit de son quatrième long métrage (Dune arrive juste avant), Blue Velvet est celui qui installe le premier le style que l'on associe à son auteur, et que l'on retrouvera aussi bien dans Mulholland Drive et Lost Highway que Twin Peaks, dont l'histoire est assez proche. Comme dans la série des années 90, tout commence avec une enquête menée par Kyle MacLachlan, qui l'emmène derrière les palissades proprettes de sa ville de Caroline du Nord, face à une réalité plus noire et angoissante.

Déjà entrevue dans Eraserhead, cette dualité est encore plus frappante ici grâce aux couleurs éclatantes qui émaillent le récit dans lequel Isabella Rossellini et Dennis Hopper marquent les esprits alors que Laura Dern prend ses marques dans un univers dont elle deviendra ensuite l'un des visages récurrents. Un étrange conte expressionniste où la musique occupe une place considérable qu'elle conservera jusqu'au bout de la carrière de David Lynch.

Sailor et Lula (1990)

Quatre ans avant Pulp Fiction, c'est Sailor et Lula qui s'est offert de le titre de "Palme d'Or la plus rock'n'roll de l'Histoire du Festival de Cannes", grâce à Bernardo Bertolucci. Secondaire dans Blue Velvet, Laura Dern s'empare de l'un des rôles principaux de cette histoire d'amour flamboyante en forme de fuite endiablée à travers l'Amérique, aux côtés d'un Nicolas Cage tout feu tout flamme (pléonasme ?).

Plus que jamais influencé par Le Magicien d'Oz, dont on retrouve de nombreux échos dans son oeuvre (un excellent documentaire a été consacré au sujet), il mêle romance, sexe et violence sur les routes de son pays, dans embardée hallucinante et fascinante, traversée par une bande-originale parfaite, qui orchestre la rencontre de Roméo et Juliette et Bonnie & Clyde, et s'articule autour de la question de la normalité. Un nouvel opus lynchien, en somme.

Twin Peaks (1992)

Twin Peaks - Fire Walk With Me
Twin Peaks - Fire Walk With Me
Sortie : 3 juin 1992 | 2h 15min
De David Lynch
Avec Sheryl Lee, Ray Wise, Mädchen Amick
Presse
2,6
Spectateurs
3,7
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Le prequel cinématographique de la série culte de David Lynch, qui aura aussi été sa conclusion pendant vingt-cinq ans. Parfois sous-titré "Les sept derniers jours de Laura Palmer", Twin Peaks - Fire Walk With Me ajoute une pièce manquante au puzzle avec lequel le cinéaste et son acolyte Mark Frost ont joué pendant deux saisons fascinantes qui ont laissé aux téléspectateurs un goût d'inachevé suite à l'annulation du show qui n'a rien perdu de son pouvoir d'attraction.

À l'époque, le public ne savait pas qu'un nouveau voyage à Twin Peaks aurait lieu en 2017, donc ce film était pour lui l'occasion de dire adieu à Dale Cooper (Kyle MacLachlan) et Laura Palmer (Sheryl Lee), avec un récit qui s'achève par la découverte du cadavre de cette dernière. Comme une manière de boucler la boucle pour le metteur en scène, à défaut de pouvoir donner une suite à sa série.

Lâchant les chevaux en matière de sexe, d'horreur et de bizarre, David Lynch reçoit un accueil pour le moins tiède au Festival de Cannes, où il est présenté en Compétition, avec même quelques sifflets à la clé en conférence de presse. Parmi les reproches qui sont adressés au film : un manque de surprise et d'inspiration de la part d'un auteur qui ne paraît pas en bout de course, mais ne semble plus rien avoir à dire dans cette ville. Ce qui, avec le recul, est peut-être sévère car, malgré ses faiblesses, ce Twin Peaks nous propose un voyage pour le moins marquant, dont l'ambiance ne peut que bénéficier d'une projection en salle.

Lost Highway (1997)

Lost Highway
Lost Highway
Sortie : 15 janvier 1997 | 2h 15min
De David Lynch
Avec Richard Pryor, Lucy Butler, Bill Pullman
Spectateurs
3,9
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On ne sait pas ce qu'on pensé les critiques qui disaient, à l'époque de Twin Peaks, que David Lynch avait perdu de son inspiration devant Lost Highway. Mais nul doute que le septième long métrage du réalisateur a dû les rassurer. Une histoire de sexe, mensonges, vidéo et meurtres sur les hauteurs de Los Angeles qui, quelque part, préfigure Mulholland Drive. Dans sa forme, la dualité du personnage de Patricia Arquette et sa manière de nous perdre sans rien expliquer.

Mais c'est aussi ce qui fait la forme de cette enquête labyrinthique, hypnotique dès son générique d'ouverture sur une route sans fin (comme pour tirer un trait d'union avec Sailor et Lula ?) au son de "I'm Deranged" de David Bowie, qui était au casting de Twin Peaks. Navigant toujours entre rêve et réalité, poésie et horreur, Lost Highway reste, à ce jour, l'un des films les moins compréhensibles de David Lynch. Mais c'est aussi ce qui fait sa force et son charme.

Comme le personnage principal joué par Bill Pullman face aux cassettes vidéo de son couple qu'on lui envoie, les multiples visionnages ne permettent pas tant d'élucider son mystère que de mieux s'abandonner au monde dont le long métrage nous ouvre les portes. Chez David Lynch, ce n'est pas grave de ne pas tout comprendre, bien au contraire. Et c'est aussi cette idée, parfaitement incarnée dans cet opus sensoriel, qui semble avoir disparu avec lui, à l'heure où Hollywood surligne tout et ne veut laisser aucune place à l'imagination, à grand renfort de prequels et spin-offs. Tout ça pour dire : allez vous perdre dans Lost Highway, sur grand écran, vous nous remercierez.

Une histoire vraie (1999)

Une histoire vraie
Une histoire vraie
Sortie : 3 novembre 1999 | 1h 52min
De David Lynch
Avec Richard Farnsworth, Sissy Spacek, Harry Dean Stanton
Presse
4,2
Spectateurs
3,9
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Qui a dit que David Lynch était un cinéaste prévisible ? Même en restant dans son domaine de prédilection, incarné par Blue Velvet, Lost Highway ou Twin Peaks jusque-là, il ne donnait pas l'impression de se répéter. Mais il pousse le curseur un peu plus loin avec Une histoire vraie, que l'on croirait filmé par Terrence Malick (auquel on pense aussi devant les paysages et crépuscules de Sailor et Lula).

Il est en effet question d'un vétéran de 73 ans (Richard Farnsworth) qui entreprend de traverser les États-Unis sur son tracteur afin de rendre visite à son frère qu'il n'a pas vu depuis dix ans mais qui se remet d'une attaque. Et c'est tout. Adoptant la forme du road-movie, où les rencontres ponctuent chaque séquence, Une histoire vraie semble être le plus classique des films de David Lynch. Ce qui est le cas quand on le met à côté du reste de sa filmographie.

Mais, comme souvent chez lui, il s'agit d'un faux-semblant. Le fantastique et l'horreur ne s'invitent certes jamais au voyage (malgré une théorie qui laisse entendre que le personnage principal serait mort depuis le début), mais ce drame l'assoit un peu plus comme un peintre de l'Amérique et de ses marges, au sein desquelles il se plaît à évoluer. En tordant le cou à celles et ceux qui le réduisent à ses bizarreries, qu'il a peut-être fait pleurer avec l'un de ses films les plus immédiatement accessibles.

Mulholland Drive (2001)

Mulholland Drive
Mulholland Drive
Sortie : 21 novembre 2001 | 2h 26min
De David Lynch
Avec Naomi Watts, Laura Harring, Robert Forster
Presse
4,7
Spectateurs
3,9
Streaming

Un Prix de la Mise en Scène à Cannes et un César du Meilleur Film Étranger pour ce long métrage que beaucoup considèrent comme le chef-d'oeuvre de David Lynch côté cinéma (car Twin Peaks occupe cette place dans le monde des séries). Un peu plus accessible que Lost Highway (un documentaire diffusé sur Canal+ à l'époque montrait même le cinéaste expliquer le pourquoi du comment du récit), tout en s'inscrivant dans sa continuité par bien des aspects, il s'apparente même à la somme de ses obsessions.

Plus encore que le vernis du rêve américain, c'est aux dessous d'Hollywood qu'il s'attaque avec ce nouveau rêve qui tourne au cauchemar : celui de Betty Elms, aspirante actrice fraîchement arrivée dans la Cité des Anges qui héberge une femme devenue amnésique après un accident de voiture, afin de l'aider à retrouver la mémoire. Avec pour seuls indices un sac plein d'argent et une clé bleue.

Poussant la notion de dualité à son paroxysme, avec son récit en deux parties ou l'opposition brune-blonde entre Laura Helena Harring et Naomi Watts, David Lynch paraît au sommet de son art, bien aidé par la musique envoûtante du fidèle Angelo Badalamenti, et le vertige est d'autant plus total pour le spectateur qu'il se retrouve parfois à la place des personnages, partagés entre fascination et horreur pour ce milieu. À tel point que des théories ont longtemps fleuri à son sujet.

Inland Empire (2006)

Inland Empire
Inland Empire
Sortie : 7 février 2007 | 2h 52min
De David Lynch
Avec Laura Dern, Jeremy Irons, Justin Theroux
Presse
3,9
Spectateurs
3,0
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Le dernier long métrage de David Lynch sera donc sorti le 7 février 2007 en France, près de 18 ans avant sa mort. Trente années après Eraserhead, son coup d'essai, il boucle la boucle avec un (très) loong métrage expérimental, nouveau labyrinthe tourné en numérique en forme de lettre d'amour destinée à son actrice Laura Dern.

"Nous voici plongés dans une histoire de mystère, l'énigme d'un monde au coeur des mondes, le secret d'une femme en proie à l'amour et aux tourments...", dit le synopsis officiel. Et c'est vrai, car David Lynch semble moins intéressé par l'idée de raconter une histoire que par expérimenter et assembler un récit au gré de ses fulgurances et inspirations, qui nous rappellent ses talents d'artiste mis en avant dans le documentaire The Art Life sorti en 2016.

Moins beau que ses autres oeuvres et plus déstabilisant, même pour ceux qui sont habitués à son style, Inland Empire ressemble parfois à un brouillon que son auteur aurait voulu retravailler au fil des années, tout autant qu'une façon de repousser les limites de sa grammaire cinématographique. Tantôt agaçant, tantôt fascinant, un ultime opus qui ne laisse pas indifférent, et qui mérite que ql'on s'y (re)plonge.

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