Le regard de Michael Fassbender : voilà à quoi pourrait être résumé ce film en quelques mots. Ce n'est pas un acteur que j'ai pu voir souvent, mais il m'a fait ici l'effet d'un choc, tout au long de Shame. Il y interprète Brandon, un trentenaire victime d'une addiction particulière : l'addiction sexuelle. J'avais peur avant de voir ce film, car je m'attendais à un film légèrement vulgaire, voire un peu banal. Le sujet est tellement casse-gueule que je ne pensais pas assister à un tel chef d'oeuvre de réalisation, d'ambiance. Avec des plans savoureux et des acteurs qui m'ont impressionné (Michael Fassbender, Carey Mulligan, Nicole Beharie), Steve McQueen livre ici un film dénué de tout cliché et surtout de tout jugement, en maîtrisant sa caméra exactement comme j'aime qu'elle soit maîtrisée et en abordant ses personnages avec humanité, vérité et émotion. Dès le début du film, j'ai été transporté dans l'ambiance du film, qui est à l'image de cette musique douce et immersive qui fait de chaque plan une merveille. L'atmosphère est posée d'emblée : on ne va pas rire mais on va savourer chaque plan, chaque regard, chaque dialogue, et c'est typiquement le genre d'expériences qui me font aimer le cinéma. Pendant presque 9 minutes d'introduction presque sans dialogue (chose que j'avais rarement vu avant pour ce genre de films, à part chez Lars von Trier), j'ai savouré les images tout comme la bande-son. Le personnage nous est présenté : solitaire, vivant dans un grand appartement sobre. En 9 minutes, beaucoup de choses sont dites. Steve McQueen nous montre le désir, l'addiction sexuelle chez Brandon de façon harmonieuse et réservée, avec la retenue qu'il est nécessaire d'appliquer lorsqu'on ne veut pas faire de son film un truc trop grotesque. Cette introduction nous montre que cette obsession presque maladive provoque chez lui un renfermement. Il vit seul, visiblement très seul, au coeur d'une vie morne et très ordonnée, régie par son addiction qui constitue l'essentiel de ses préoccupations. Tellement préoccupante qu'il ne prend pas la peine de répondre à sa soeur au téléphone, préférant écouter ses messages au réveil que de la laisser chambouler son petit monde bien rangé. Finalement, cette introduction se termine par une séquence de regards dans le métro absolument envoûtante, où les non-dits et la subtilité annoncent un film astucieux et implicite. Cette scène de regards est accompagnée d'une magnifique musique de Harry Scott ressemblant à s'y méprendre à la musique de La Ligne Rouge de Hans Zimmer. On pourrait quasiment appeler ça du semi-plagiat, mais qu'importe : la musique colle à merveille à la scène et met en évidence toute la tension qui opère psychologiquement sur le personnage principal. Une musique qui monte en puissance et met en valeur avec beauté l'une des scènes qui m'a le plus troublé cette année. La séquence dure pratiquement 3 minutes. Trois minutes à filmer deux personnages qui s'observent fixement dans le métro. Pas de dialogue, mais seulement des plans fixes sur les regards fixes des personnages. La scène est subtile car le talent des acteurs permet au spectateur de saisir avec exactitude les pensées qu'impliquent ces regards, et j'admets que je ne voulais pas que cette scène se termine. Le regard de Fassbender, extrêmement profond et évocateur, m'a fasciné dans cette scène comme dans les suivantes, et il est clair que l'acteur a été exploité de façon magistrale tout au long de l'intrigue. La suite contient également son lot de plans somptueux et intelligents, et le film ne perd jamais en force malgré un début aussi percutant. Essentiellement, le film est constitué d'un assez grand nombre de plans-séquences, chose dont je raffole au cinéma. Ne serait-ce que pour un dialogue, quand je regarde un film je me dis régulièrement : "mais pourquoi le mec aux commandes des caméras se fait chier à changer de plan constamment entre les deux interlocuteurs, alors qu'un plan sans coupure réunissant les deux acteurs est plus malin et plus intéressant ?". Shame fait ça à la perfection, les plans n'étant coupés que si c'est nécessaire, nous laissant le ravissement de savourer chaque séquence. On peut citer tout le passage entre Michael Fassbender et Nicole Beharie, au restaurant puis dans la rue, qui sont absolument délectables avec des dialogues extrêmement bien écrits. Marianne (le personnage de Nicole Beharie) est l'un des deux éléments perturbateurs de la vie de Brandon, avec évidemment sa soeur Sissy. Toutes les deux font naître chez lui des sentiments, et Brandon montre qu'il ne peut pas laisser entrer l'amour dans sa vie, que ce soit le sentiment amoureux comme fraternel. Pour ceci il souffre, condamné à la frustration et à continuer cette vie qui l'accable. En ceci, le personnage est profond et Steve McQueen nous le présente avec humanité et sans jamais porter de jugement sur ses actes. C'est vraiment très fort. Suite : http://sebmagic.over-blog.com/article-shame-2011-de-steve-mcqueen-112238709.html